Il est à sa place habituelle. Accoudé au bar qui colle et sent la bière bon marché. Là, entouré des autres pochtrons dans son genre, il se sent chez lui. Comme à la maison. Des amis, il en a peu Ross, mais il sait qu’il pourra toujours compter sur ceux-là pour lever le coude ou pour pleurer sur son triste sort. Sort qu’il s’est lui-même destiné, mais le jeune homme souffre d’un syndrome de victimisation qui l’empêche d’avoir les idées claires. Pour lui, son existence n’est qu’une vague plaisanterie cosmique et l’univers tout entier s’acharne contre sa petite personne. Bien heureusement, Dieu a laissé une cure miracle à tous ses maux : l’alcool. Et ça, Ross l’a compris depuis bien longtemps. D’autant qu’un vice en entraine souvent d’autres et il est connu pour avoir un penchant pour la luxure. Le plaisir charnel. Les femmes. Toutes les femmes. Il a le don – ou la malédiction, de les trouver toutes, plus ou moins, magnifiques. Et leur résister est une souffrance qu’il refuse de s’affliger. – J’paris tout ce que tu veux que personne peut pécho avec cette phrase. Le pari est lancé. Un défi stupide qui fait pourtant palpiter le cœur du jeune homme qui ne renonce jamais quand il s’agit de s’attirer des ennuis. – Watch me doing some magic, il leur adresse un clin d’œil et se lève de son tabouret pour filer tout droit sur sa proie. Une jeune femme qui bouquine seule à une table, un verre de vin rouge posé sur la table. Un cliché qui lui donnerait presque la nausée s’il n’avait pas en tête l’idée de vouloir la corrompre. En réalité, Ross trouve cela excitant. Il l’imagine snob, à se croire mieux que tout le monde alors qu’elle lit dans un bar au beau milieu de la nuit. Quelle réussite cela serait de la faire tomber dans ses bras. Quelle satisfaction il pourrait en tirer. Il s’en frotte d’ores et déjà les mains. Et finalement arrivé à son niveau, il tousse pour s’éclaircir la gorge, comme pour se redonner de l’aplomb, ou comme pour signaler sa présence. – Votre père, il travaillerait pas chez nintendo par hasard ? Parce que vous avez un corps de DS. Des mots prononcés avec toute la confiance du monde. Il ne cède pas au ridicule de la situation – bien au contraire. Il demeure la tête haute, prêt à la charmer, comme toutes les autres avant elle. La jeune femme ne peut s’empêcher de rire, mais il ne se laisse pas démonter. Il insiste et joue de tous ses atouts pour la faire craquer. Mais c’est finalement la queue entre les jambes qu’il revient vers chez amis. – J’veux rien entendre. L’égo blessé en plein cœur alors qu’il commande un autre verre. – Désolé Ross, c’était la dernière tournée. Soirée de merde. Il attrape sa veste et se tire à la vitesse de la lumière. Il marche dans les rues de Brighton, l’échec toujours en travers de la gorge alors qu’il s’amuse à frapper dans un caillou comme si c’était un ballon de foot. Il devrait rentrer chez lui. Ce serait plus sage. – Putain ! Il tente tant bien que mal de faire rentrer sa clé dans la serrure, mais la porte ne s’ouvre pas. Elle est fermée de l’intérieur. Encore un coup de sa sœur qui ne supporte plus ses escapades nocturnes, faut croire. Il a l’alcool mauvais, à cette heure-ci, Ross. Et il n’a qu’une envie : tambouriner sur la porte, la faire sortir de son lit pour qu’elle vienne lui ouvrir. Mais pour une fois dans sa vie, il a un brin de conscience. Alors il renonce. Et il retourne dans la noirceur, là où est sûrement sa place. Il erre parmi les âmes solitaires et ses acolytes de nuit. Le monde est différent quand le jour se fait la malle. Les démons se réveillent. Le silence s’installe. Et sans s’en rendre compte, il se retrouve finalement dans la rue d’un appartement qu’il connait bien. – Laurel, t’es là ? t’es réveillée ? Il essaye de murmurer contre la porte, mais sa voix est bien plus audible que ce qu’il croit. Il sait pas trop ce qu’il fiche ici, Ross. Peut-être qu’il a besoin de se remettre de son humiliation de tout à l’heure. Ou juste d’un endroit où dormir.