maybe i'll get drunk again
-----------------------Les mains dans les poches, le regard dans le vide, la tête basse, il marchait. D’un pas rapide, dû au froid qui venait lui glacer les os, il se dirige vers le West Quay. Bar qu’il a l’habitude de fréquenter depuis le décès prématuré d’Ellie, la seule et unique femme dont il était et est amoureux. Un an et demi maintenant, qu’elle était partie. Et Jasper ne s’en remettait toujours pas. Il s’en voulait. Pour lui, tout était de sa faute. Il aurait dû être là pour elle, il aurait dû aller la chercher après le travail. La tête ailleurs, il poussa la porte du bar et se dirigea directement vers le comptoir. Saluant le barman qu’il avait l’habitude de voir, il retira sa veste afin de la déposer sur le tabouret à ses côtés. — Comme d’habitude, s’il te plaît. Lui demanda-t-il sans la moindre once d’un quelconque sourire. Jasper laissa échapper un sourire. À nouveau, il allait passer sa soirée à se lamenter sur sa vie, la mort d’Ellie. Il allait se plaindre jusqu’à ce que l’alcool fasse son effet, et qu’on lui oblige d’arrêter de boire. La musique ne provoquait aucun effet sur lui, tellement ses pensées étaient ailleurs. Et alors qu’il s’apprêtait à prendre d’une main ferme la bière se trouvant devant lui, une présence à ses côtés le fit sursauter. Une présence à laquelle il ne s’attendait pas.

Lula avait, depuis sa majorité, l'habitude de venir boire un verre avec ses copines. Elle avait fait quasiment tous les bars de la ville, essayer un bon nombre d'alcool, doux ou forts, avait chanté sur un bon nombre de morceaux de fond, un peu trop faux et un peu trop fort. Elle profitait de sa jeunesse, sans jamais exagérer, sans jamais risquer de mauvaises aventures. Ce soir-là n'était pas différent, et s'est assise à la table avec deux de ses amies que la blondinette riait aux éclats, son cocktail à la main, qu'elle sirotait lentement pour ne pas être saoule, du moins pas trop rapidement. Mais leur douce soirée fut rapidement bousculer lorsqu'un homme entra dans la pièce. La trentaine, beau, mais le regard tellement perdu. C'est les amis de Lula qui lui firent remarquer la présence de l'homme, assit seul au bar. Elle n'eut pas à le fixer longtemps avant de reconnaitre son frère, l'aîné des Goldstein. — Je reviens. — annonça-t-elle sans plus d'explication, prenant son verre avec elle pour se rendre au bar, rejoindre l'homme. Elle l'avait rarement vu avec la mine si défaite, bien trop habituée à le voir fort devant sa petite soeur de neuf ans sa cadette. — Jasper ? — Elle s'assit à côte de lui, le regardant avec un léger sourire, plus rassurant qu'autre chose. Le genre de sourire qu'on fait à une personne qui ne va pas bien. — Mais qu'est-ce que tu fais tout seul ?

Le sursaut qu’il venait d’avoir envoya presque sa bière valsée. Il se tourna d’un geste vif, prêt à crier sur la personne qui venait de lui faire une peur pareil. Mais il se calma rapidement quand il vit le doux visage de sa soeur, Lula. — Bon sang Lula, tu m’as fichu la trouille. Et alors qu’il voulait simplement porter le goulot de sa bière à sa bouche, il se contenta de déposer la bouteille en face de lui. Bien que content de voir sa soeur, Jasper espérait passer sa soirée seul, à broyer du noir jusqu’au petit matin où il ne se souviendrait sans nul doute plus de son propre prénom. Il laissa poliment sa soeur s’installer à ses côtés. Un regard jeté à son cocktail, il se rendit compte qu’elle devait être là depuis quelques heures déjà. Il se retourna. Son regard se posa sur une table où se trouvait quelques filles, et se douta que Lula faisait partie de la bande. — Oh, pas grand-chose. Et je ne suis pas seul. Il désigne sa bière d’un signe de tête et haussa les épaules, ne voulant pas lui avouer qu’il était là pour noyer son chagrin pour la simple et bonne raison qu’il ne se remettait toujours pas de la perte d’Ellie. — Mais ne perds pas ton temps avec moi, je pense que tes amies ont plus besoin de toi. Il posa une de ses mains froides contre celle de sa soeur, gentiment. Il ne voulait pas l’ennuyer avec ses problèmes.

Les Goldstein avait toujours été unis, proches comme les quatre doigts de la main. Ça ne les empêchait pas, malgré ça, d'avoir leur part de vie privée. Lula ne savait pas vraiment ce qu'il se passait dans la vie de l'ainé, Jasper, et de tout ce qu'il avait pu traversé depuis la mort d'Ellie. Il sursauta légèrement lorsqu'elle arriva, et la jeune femme ne lui offrit un large sourire en signe de réconfort, lorsqu'il la regarda enfin. — C'était pas mon but, tu m'en vois désolée. — répondit-elle un sourire légèrement amusé aux lèvres. La musicienne prit un instant pour étudier l'homme assit devant elle. Ça avait beau être son grand frère, il y avait ces quelques fois, où il n'était plus celui qu'il était. Lula l'avait toujours comprit. Sa perte l'avait anéanti, et le voir dans cet état-là un an plus tard donnait à la gamine de la famille l'envie de pleurer. Car si Lula n'était pas la soeur de l'année, à demander toutes les semaines des nouvelles aux trois garçons de la fratrie, ça ne l'empêchait pas de s'inquiéter. Discrètement, silencieusement, mais elle s'inquiétait malgré tout dès qu'un d'eux ne semblait pas aller bien. Une lueur d'espoir brilla dans ses yeux lorsqu'il avoua ne pas être seul. Peut-être était-elle passé à côté de la personne qui l'accompagnait ici ? Ou peut-être attendit-il quelqu'un ? Mais non, il se contenta de faire un signe vers sa bouteille, et Lula pencha la tête, un air contrarié au visage. — Elles peuvent attendre. — répondit-elle simplement lorsqu'il lui proposa de retourner avec ses amies, qui semblaient déjà reparties dans de grandes conversations sans elle. L'ainé posa sa main sur celle de la jeune femme, et elle lui sourit à nouveau doucement. — Et je ne perds jamais mon temps, lorsque je passe du temps avec un de mes frères adorés. — Elle lâcha un petit rire. Jasper était le plus protecteur de ses frères, sûrement parce qu'il était le plus âgé, celui qui devait veiller sur les trois autres enfants Goldstein. Elle s'était toujours bien entendu avec lui, car il était là pour l'écouter, la rassurer, la conseille. Rares étaient les fois où elle lui avait rendu la pareille, et pourtant ce n'était pas parce qu'elle ne le voulait pas. Lula tentait d'être là, pour lui, prête à l'écouter s'il le voulait. Il ne semblait juste pas aussi confortable avec l'idée de se confier. — Je suis passée voir maman ce matin, justement. Elle m'a demandé si j'avais de tes nouvelles, alors je lui ai dit que tu étais parti vivre en Australie sans la prévenir. Elle n'a pas apprécié ma petite blague et papa m'a remonté les bretelles. — La blonde fit une petite grimace, espérant décrocher au moins un sourire à son frère avec cette histoire plus ou moins arrangée pour l'occasion.

En venant dans ce bar, jamais il n’aurait espéré tomber sur une connaissance, encore moins sur sa sœur. Il était venu ici dans le but de passer sa soirée seul, en compagnie de personne hormis l’alcool. Mais visiblement, Lula avait décidé de bouleverser ses plans quand elle a débarqué sans crier gare à ses côtés. Il haussa à nouveau les épaules quand elle s’excusa de l’avoir fait peur. Il n’aime pas qu’on le prenne par surprise, Jasper. À vrai dire, il déteste avoir peur. C’est bien d’ailleurs pour ça qu’il évite de regarder des films d’horreur. En y réfléchissant, Jasper n’est pas très cinéma. Il porte sa bière à nouveau à sa bouche et en boit une longue gorgée. Et à la réflexion de sa sœur, il comprit qu’elle ne le laisserait pas seul maintenant. Ce qu’il regrettait. Car même si il adorait sa compagnie, même s’il l’adorait tout court, il voulait être seul. Lula, s’était sa sœur. La seule et l’unique. La seule fille parmi trois hommes. Il l’a toujours protégée, voir même surprotéger de temps en temps. Jasper, il a toujours été là pour elle, dans les bons comme dans les mauvais moments. Mais depuis le décès d’Ellie, Jasper s’est refermé sur lui-même, ne voyant plus beaucoup sa famille. Ce qui au fond, le désole. — T’es pas obligée de m’envoyer des fleurs, tu sais. Il eut malgré tout un petit sourire. Après tout, peut-être devrait-il profiter d’être avec Lula. Ça ne serait pas une si mauvaise chose. Il ne put s’empêcher de rigoler à sa remarque. Il imaginait bien la tête de sa mère, verte de rage qu’il soit parti sans même lui en parler et surtout, sans même lui dire au revoir. — Faut dire que ce genre de blague, ce n’est pas le genre de la maison. Et puis s’ils veulent de mes nouvelles, ils savent où me trouver. D’ailleurs, tu comptes passer les fêtes de fin d’année avec eux ? Il joua avec sa bière, jetant un coup d’œil à la boisson de Lula. — Ton cocktail se vide. Tu veux quoi d’autre ? Il sorti en même temps de ses paroles son portefeuille. — Et sinon, comment tu vas toi ? Mal poli qu’il était, il n’avait même pas pris la peine de le lui demander.

Elle le savait bien, la petite Lula, que son frère n’avait pas vraiment envie qu’elle reste là, avec lui. Mais pour elle, c’était une occasion. De rester un peu avec son frère, qu’elle voyait de moins en moins, mais aussi d’avoir un oeil sur lui, sur comment il allait. Elle savait que les derniers mois avaient été dur pour lui. Il avait perdu Ellie, celle à qui il tenait plus que tout, et Lula n’était pas capable d’imaginer la peine qu’il avait dû ressentir. Perdre les gens qu’elle aimait de la sorte, si brutalement, elle n’était pas sûre de pouvoir parvenir à survivre à une chose pareil, pourtant Jasper s’en sortait. C’était dur, elle le savait, elle le voyait. Mais il s’en sortait malgré tout. —Je t’envois pas des fleurs, je vous adore tous les trois, même si vous êtes parfois bien chiants. — C’était bien vrai, Lula adorait ses trois frères. Ils la surprotégeaient toujours, lui faisaient lever les yeux au ciel à chaque fois qu’il la prenait pour une gamine, mais au fond, elle les aimait tous les trois plus qu’elle ne pourrait l’exprimer. Le rire de l’aîné Goldstein fit sourire la demoiselle, ravi qu’il trouve la situation amusante. Elle haussa malgré tout les épaules à sa question. — Je ne sais pas trop, j’ai passé tout le weekend dernier avec eux, parce que je suis trop gentille comme fille. J’y passerais sûrement à Noël, mais je ne sais pas si j’y passerais toute la journée. — répondit-elle, une petite moue au visage. C’était vrai qu’elle ne savait pas trop ce qu’elle allait faire, encore. Même si peu de choix s’offraient à elle, elle préférait ne rien prévoir encore. C’était idiot, mais elle espérait bien que voudrait la voir, à un moment ou à un autre, s’il n’était pas trop prit avec les Kershaw. — Toi, t’y passeras ? Tu ne vas pas rester seul pour Noël, quand même ? Je peux passer la journée avec toi, si tu veux. — Le laisser seul, lui ou un autre de ses frangins, un jour comme Noël, elle avait du mal à l’accepter. Elle n’avait pas eu le temps de voir énormément Eli, non plus, le deuxième enfant de la fratrie, mais l’idée même qu’un de ses frères puisse être seul lui tiraillait l’estomac. Elle ne pourrait pas accepter ça. Souriant lorsque Jasper lui fit remarquer que son verre était vide, elle répondit rapidement. — J’en veux bien un autre. Ne t’inquiète pas, c’était que mon premier, je suis loin d’être ivre. — Jamais elle n’avait été ivre devant sa famille, et ce n’était pas prêt d’arriver ce soir-là. De toute façon, elle voyait mal l’aîné la laisser boire assez pour être dans un tel état, à moins qu’il soit lui-même dans un trop sale état pour le remarquer. — Et je vais bien, très bien. J’ai plusieurs concerts dans la semaine, les joies des fêtes de fin d’années. Du coup je suis assez occupée, tout en ayant le temps de prendre un verre avec mon frangin, tu vois. — Lula lui lança un petit sourire amusé, espérant que malgré son air déprimé, il apprécierait sa compagnie.

Il était tout de même heureux, Jasper, de passer cette soirée en compagnie de sa sœur. Même si rien de tout ça n’avait été prévu. Peut-être que pour une fois, on ne le retrouverait pas mort saoul affalé sur le comptoir aux petites heures. Il avait honte quand ça arrivait Jasper. Car ici, tout le monde le connaissait. Et dans une ville comme Brighton, les rumeurs et les déboires des habitants circulent vite. Cependant, les gens étaient compatissants avec lui. Chacun essayait de l’aider d’une manière ou d’une autre à remonter la pente. Et il ne pouvait que les remercier. Car même si certaines journées étaient plus dures que d’autres, il essayait de se faire une raison. Il essayait d’arrêter de se rejeter la faute. Mais surtout, il essayait d’apprendre à avancer sans Ellie. Du coup, se retrouver avec Lula, allait sans nul doute lui permettre de se vider un peu la tête. Sans le faire habituellement avec de l’alcool. — Tu peux le dire hein que je suis ton préférée. Dit-il en plaisantant, bien entendu. Lula avait ce dont de calmer les choses, de le rendre plus paisible et surtout, de lui décrocher le moindre petit sourire sur son visage. Même si elle s’était faite assez discrète depuis la mort d’Ellie, Lula avait tout de même fait son possible pour être là pour lui. — Je sais pas. Je passerai peut-être lui dire bonjour. Mais pour tout te dire, je compte passer le réveillon avec Ava .. Tu sais, la sœur d’Ellie. Jasper haussa les sourcils. Il était bien heureux que la lumière soit tamisée afin qu’elle ne voit pas ses joues virer légèrement au rouge. — Mais on peut tout de même passer la journée ensemble si tu le souhaites. Ça me ferait plaisir. Noël avait toujours été sacré pour Lula et Jasper. Gamins, ils attendaient les cadeaux avec impatiences, se baladant dans les rues de la ville et à s’émerveiller devant tout et n’importe quoi. Jas demanda au serveur un second cocktail afin que Lula ait de quoi boire. — T’en fais pas, je dirais rien à maman. Il lui fit un clin d’œil malicieux avant de l’écouter parler à nouveau. — En parlant de concert, faudrait que je vienne te voir un de ces quatre. Ça fait longtemps. Il lui sourit gentiment, buvant une nouvelle gorgée de sa bière avant de reporter son regard sur sa petite sœur.

La main de Lula vient gentiment mais fermement poussé le bras de son frère lorsqu’il prétendit être son préféré. Elle savait qu’il rigolait, évidemment. Il n’y avait jamais eu de favoritisme, dans la famille, que ce soit entre eux ou de la part de leurs parents. Si elle s’inquiétait pour Jasper depuis la mort d’Ellie, c’était parfaitement normal. Elle s’était inquiété de la même façon quand Isveig avait quitté Eli, le laissant telle une épave derrière elle. Elle s’était inquiété autant lorsque Jack avait décidé de quitter Brighton pour partir voyager. Car même si elle était la gamine, le bébé de la fratrie, Lula ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour ses trois grands frères. Elle releva la tête légèrement surprise, avant de sourire. Elle était ravie qu’il ne soit pas seul pour le réveillon de Noël. — Tant mieux, alors. — dit-elle doucement, son sourire toujours attaché à ses lèvres. — À vrai dire, j’ai aussi des choses prévues pour le réveillon. Mais j’ai réservé le jour de Noël pour les Goldstein, c’est promis. On se verra. — Son sourire s’agrandit un peu plus, heureuse d’arriver à jongler à la fois avec sa vie de famille et sa relation amoureuse, aussi récente soit-elle. Elle ne voulait en aucun cas faire passer l’un avant l’autre. Sa famille était importante à ses yeux, tout comme l’était devenu Nash, en peu de temps. Jasper commenta un nouveau cocktail, et Lula ne tarda pas à le remercier, prenant une gorgée lorsqu’il fut enfin devant elle. Elle raffolait de ces boissons là. — Tu peux le dire à maman, je suis majeure, je te rappelle. Elle n’a plus son mot à dire depuis que j’ai un appartement. Puis je suis sûrement celle qui boit le moins de ses enfants, alors… — Elle leva rapidement les yeux au ciel, avant de sourire. C’était vrai. Jasper et Eli avaient tous les deux la fâcheuse tendance à noyer leurs soucis dans l’alcool, ce qui ne faisait au final qu’attirer plus d’ennuis. C’était ridicule, mais elle n’avait pas son mot à dire. Elle les soutenait, comme elle le pouvait. Elle tentait parfois de les résonner, mais personne n’écoute la petite soeur, la benjamine et seule fille de la famille. En tout cas, eux ne l’écoutaient pas vraiment. — Tu viens me voir quand tu veux. — dit-elle en hochant la tête, heureuse de voir qu’il s’intéressait à ce qu’elle faisait. — C’est toujours un plaisir d’avoir de la famille dans le public, crois-moi.