Elle relisait la même phrase pour la troisième fois, sans se rendre compte qu’elle stagnait à la même page depuis plusieurs minutes. Assise dans son salon, Sienna tentait de se changer les idées avec un livre, mais sans succès. L’esprit ailleurs, elle ne pouvait s’empêcher de se repasser en boucle les événements de la journée. Aucun roman, ni rien d’autre d’ailleurs, ne parviendrait à les lui faire oublier. Elle avait fermé son téléphone, agacée par ses incessantes notifications, ainsi que son téléviseur. En fait, elle s’était coupée des réseaux sociaux, complètement. S’il y avait quelque chose qui pouvait affecter Sienna, c’était le regard que les autres posaient sur elle. Elle ne supportait pas les railleries. Et comment ne pas se sentir totalement ridicule quand on vient de présenter en direct devant des milliers de téléspectateurs un bulletin météorologique aussi honteux qu’obscène. Plus elle s’efforçait de ne pas y penser, plus elle y pensait. Elle soupira. Comme elle s’avouait vaincue, refermant son livre, on cogna à la porte. Les lumières allumées, ainsi que sa voiture garée dans l’entrée, trahissaient sa présence chez elle. Impossible pour elle de faire comme si elle n’était pas là. Elle poussa un nouveau soupir, puis se dirigea vers la porte d’entrée. Elle n’était pas prête à voir qui que ce soit après la journée qu’elle avait passé. Elle s’attendait à voir une de ses sœurs débarquer, pour mieux se moquer d’elle. Elle inspira un coup, puis tourna le loquet. Elle fut soulagée de constater que cette visite impromptue venait plutôt de Ralph. — « Un peu de compagnie ne serait pas de refus. », acquiesça Sienna, après une courte hésitation. Elle jeta un regard vers le carton de bières qu’il avait apporté, un sourire un peu embarrassé aux lèvres, n’osant pas lui avouer qu’elle aurait probablement besoin de plus fort que ça pour oublier qu’elle était la risée de Brighton. — « Et puis je ne peux pas dire non à une bière, ou deux. », ajouta-t-elle, rieuse, refermant la porte derrière lui. Une infime partie d’elle osait s’accrocher à l’espoir que Ralph ne faisait pas partie de ceux qui avait été témoins de son désastre en ondes plus tôt dans la journée. Elle savait pourtant au fond d’elle que c’était quasi impossible, et savait surtout que le sujet ne pourrait assurément pas être évité. — « Je suppose que ce n’est pas par hasard que tu te ramènes chez moi juste comme je viens de passer possiblement la pire journée de ma vie. », hasarda-t-elle, non sans faire preuve d’une exagération qui lui était caractéristique. Elle décapsula deux bières, en posant une devant lui. — « À moins que ce soit toi qui aies besoin de se changer les idées. » Son regard mi amusé, mi penaud, l’implorait de ne pas pousser l’humiliation encore plus loin. Quoiqu’il en soit, Ralph avait frappé à la bonne porte, et elle se surprenait à être finalement ravie de sa venue.