Le mot mari traversant les lèvres de Becca le faisait sursauter. Comme si un lourd poids venait s'écraser sur ses épaules. Il jouait une comédie dangereuse, Andrew, il le savait. Il avait caché son alliance lors de leur première rencontre ne pensant pas à mal -du moins, il essayait de s'en convaincre. L'idée de lui avouer qu'il était marié ne lui avait même pas traversé l'esprit parce qu'il l'appréciait Becca, et cela devenait de plus en plus évident à chaque rencontre. Il ne voulait pas la voir fuir. Il se contentait alors de danser sans rien dire tentant de chasser ses pensées de son esprit. Il avait passé les quelques minutes à danser en suivant le rythme de la jeune femme et se concentrant pour ne pas faire de faux pas. Puis Becca se reculait alors que la musique se terminait et que les couples brisaient eux aussi leur étreinte. Lentement, il lâchait la main de Becca afin d'applaudir, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Andrew laissait son regard glissait sur les différentes personnes autour d'eux comme à la recherche d'un visage amical. Puis il se retournait vivement en arrêtant d'applaudir lorsque Becca lui déclarait devoir partir. Ses sourcils se fronçaient immédiatement ne comprenant pas sa réaction. “Quoi?” Il lançait quelques regards autour d'eux cherchant une quelconque raison à cette envie de partir. Peut-être avait-il mal entendu, il ne comprenait pas. Mais avant même qu'il ne puisse articuler autre chose, elle tournait les talons et se dirigeait vers le bar. Le bruit autour de lui devenait étonnamment fort, tout le monde bougeait alors qu'il restait planté là quelques secondes ne sachant pas quoi faire. Puis sans réfléchir plus longtemps, il suivait les pas de la jeune femme tentant de la rattraper. Une fois arrivé dans la rue, elle était déjà bien loin. Il ramassait la rose qu'elle avait du laisser tomber en s'enfuyant puis son regard se perdait dans l'obscurité de la rue. Il ne comprenait pas, Andrew, ce qu'il avait pu faire, ce qui l'avait poussée à prendre ses jambes à son cou. Un soupir traversait ses lèvres avant qu'il ne décide de rentrer. En une seconde, tout avait basculé, rien ne s'était passé comme il l'avait imaginé. Il ne se l'expliquait pas.

Il était trop tard pour qu’elle change d’idée. Trop tard pour qu’elle prenne la fuite, ou du moins, trop tard pour qu’elle le fasse sans qu’Emmett en soit témoin. Elle n’avait plus d’autre choix que celui d’enfin l’affronter, après un silence qui s’était éternisé. L’auteur s’avançait vers elle avec un certain aplomb, ce qui la surprit, ne la lâchant pas du regard. Elle non plus, d’ailleurs, ne pouvait cesser de le regarder, au loin, alors qu’il se rapprochait. Sa gorge se noua, alors qu’une boule se formait au creux de son estomac. Ses mains étaient soudainement moites et son cœur frappait violemment da sa poitrine. Jamais elle n’avait été aussi nerveuse face à lui. Elle s’était imaginée ce moment plus d’une centaine de fois depuis le moment où elle avait mis le pied hors de sa demeure, lors de leur dernier échange. Mais maintenant qu’il se trouvait devant elle, elle ne savait plus qu’elle attitude adopter, encore moins quoi penser, complètement déconcertée. Elle était encore à chercher les bons mots quand il l’a devança en l’abordant de façon aussi inattendue que ridicule. Elle le dévisagea. — « C’est tout ce que tu trouves à dire ? », Lâcha-t-elle presqu’aussitôt, une pointe de déception dans la voix. Elle arqua un sourcil, une moue légèrement blasée aux lèvres. Son regard était à présent fuyant. Elle aurait voulu rire. En temps normal, l’absurdité de cette réplique un peu cocasse l’aurait au moins fait sourire, mais elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir, terriblement. De tous les scénarios qu’elle s’était imaginés, c’était bien la dernière chose à laquelle elle se serait attendue. Trop orgueilleuse pour l’admettre, la vérité était qu’en fait, elle aurait espéré des excuses de la part d’Emmett. Heidi aurait voulu que pour une fois, il accepte ses torts et qu’il se permette un semblant de sensibilité. Mais elle devait se rendre à l’évidence que c’était sans doute trop lui demander. Sa colère des derniers jours se transforma en une triste déception qui se lisait sur la totalité de ses traits. — « Je ne sais pas ce qui me surprend le plus entre cette constructive critique culinaire, et le fait que tu sois ici, alors que tu m’aies tellement de fois répété que tu ne voyais aucun intérêt à ce genre de soirée. » Elle marqua une pause. Elle parut hésiter l’espace d’un instant. Elle avait oublié le discours qu’elle avait préparé, ainsi que toutes ces choses qu’elle avait pensé lui reprocher. Toute sa colère accumulée semblait s’être envolée, puis avoir été remplacée par une nervosité qu’elle peinait à s’expliquer. Elle lui en voulait, et pourtant, elle n’arrivait pas à lui dire le fond de sa pensée. Heidi, malgré sa force de caractère, était incapable de méchanceté. Emmett aurait probablement mérité un accueil empreint d’animosité. Il se trouvait néanmoins devant une Heidi qui, en façade, semblait calme, presque détachée. — « Qu’est-ce qui t’as fait changer d’avis? » Osa-t-elle demander, d’une petite voix. Elle ne le regardait toujours pas, faisant tourner maladroitement sa flûte vide entre ses doigts, toute son attention attirée par un couple qui dansait, un peu plus loin. Elle osait s’imaginer qu’il était venu pour elle. Puis, elle se remémorait les dernières paroles qu’il lui avait craché au visage "Je n’ai pas besoin de toi ici." Elle revivait la scène avec la même douleur. Son coeur se serra. Elle détacha subitement son regard des amoureux enlacés qu’elle enviait secrètement, puis osa enfin lever les yeux sur Emmett. "Je pensais que tu n’avais pas besoin de moi", aurait-elle voulu ajouter. Mais elle ne dit rien. Sans doute par peur de sa réponse. Son coeur ne le supporterait pas deux fois.

Elle ne tarda pas à lui confirmer qu’il n’avait pas choisi les bons mots pour l’aborder. Il le savait, mais peut-être qu’il espérait tout de même que la futilité de sa réplique détende l’atmosphère qui était tendue uniquement par sa faute. Il soupira, la mine basse alors que le regard d’Heidi semblait se poser sur tout, à l’exception de lui. Il aurait dû lui présenter ses excuses, il le savait. Il savait aussi que, plus il tardait, plus ce serait difficile. Pourtant, il n’arrivait pas à ouvrir la bouche, n’arrivait pas à formuler une phrase qui se tienne. Il avait maîtrisé l’art de repousser les gens. C’était ce qu’il faisait. Il les blessait et les repoussait jusqu’à ce qu’ils fuient. Et, maintenant qu’il avait réussi avec Heidi, il ne pouvait arrêter de penser à elle. Il se gratta nerveusement la barbe quand Heidi daigna reposer son attention sur lui, sans toutefois le regarder directement. Elle était surprise de le voir là parce qu’il avait refusé catégoriquement chaque fois qu’elle avait évoqué le bal d’y prendre part. Elle ne réalisait donc pas qu’il était venu pour elle. Pour lui parler. Pour se faire pardonner, du moins essayer. C’était vrai qu’il n’y voyait aucun intérêt. C’était toujours le cas. Emmett n’osa pas répliquer, sentant qu’elle n’avait pas tout à fait terminé de s’exprimer. Sentant aussi qu’il risquait de la faire fuir s’il tentait maladroitement de plaider sa cause. Il s’était imaginé qu’elle serait fâchée, blessée. Elle lui paraissait plutôt calme. S’il aurait dû se sentir rassuré, c’était plus un coup de poing au ventre. L’idée de la blesser lui avait été insupportable. Il s’en voulait, il n’avait cessé de penser à ce qu’il pourrait dire ou faire pour qu’elle lui pardonne. Mais peut-être qu’elle était indifférente. Peut-être qu’elle s’en fichait de ça. De lui. De ce duo improbable qu’ils formaient. Elle avait toutes les raisons, après tout. Et cette pensée lui semblait encore plus difficile à encaisser. — « Je me disais que j’avais de bonnes chances de te trouver ici. » Tenta-il, maladroitement. Il était encore plus maladroit pour les excuses que pour la décence ou le tact. Il regarda nerveusement autour d’eux. Il lui semblait que tous les regards étaient braqués sur eux. Que tout le monde prenait un malin plaisir à épier leur conversation, comme s’ils devinaient que l’un d’eux risquait d’exploser à tout moment. Peut-être s’imaginait-il des choses. Il avait cette impression en tout temps. C’était principalement pourquoi il tenait à rester chez lui, huis clos, et qu’il avait refusé tant de fois d’escorter Heidi au bal. Pour l’instant, il ne pouvait se consoler en se disant que s’il n’était pas venu, il ne l’aurait pas vue dans sa splendide tenue. Il pouvait facilement s’imaginer qu’elle était la plus jolie du bal. Un énième soupire s’extirpa d’entre ses lèvres. Il regarda par-dessus son épaule et croisa quelques regards de connaissances, de voisins ou de vieux amis. S’il avait voulu l’amener à l’extérieur où ils pourraient trouver un peu de tranquillité, Emmett avait peur qu’elle en profite pour s’enfuir loin de lui à nouveau. Il prit la flûte vide qu’elle tenait à sa main et la déposa sur le plateau d’un serveur qui passait. — « Allons danser. » lança-t-il d’un ton décidé. Peut-être essaya-t-il de se convaincre lui-même. Sans attendre sa réponse, il lui prit la main et la guida dans la foule jusqu’à la piste de danse déjà occupée par plusieurs couples. Il déglutit péniblement. Il savait pertinemment qu’il n’avait pas dansé depuis son mariage, mais il était prêt à braver le ridicule parce qu’il savait que c’était peut-être la seule opportunité pour lui d’avoir un moment d’intimité avec Heidi là où tout Brighton semblait s’être donné rendez-vous. Il la regarda, nerveux. Comme s’il attendait la suite, les instructions.