Il sait pas tellement quel jour. Quelle heure il peut bien être. Il a mis son téléphone en pause. Son père, son frère, des filles d'un soir et même Tori l'a appelé sauf qu'il a pas pris le temps de répondre Rafe. Il est sonné. Abattu par une nouvelle d'une ampleur trop grande pour qu'il arrive à s'en saisir et la vivre avec dignité. Il a préféré se saouler. Écumer les bars. Un goût de cendre dans la bouche. Une haleine de phoque. Il est à l'ouest. La seule parade qu'il a contre la douleur et la peine. Il sait pas tellement gérer tout ça. Il se noie sans essayer de nager. La colère qui gronde dans son cœur. Il essaye de foutre sa clé dans la porte de l'appartement mais ça prend des lustres, il peine à viser, il fait un bruit monstre. Il parvient enfin à entrer dans son appartement. Pas ultra discret, il se cogne. La chahut qu'il provoque pourrait réveiller un mort. Ceci dit, c'est le dernier de ses soucis à cet instant. La fatigue sur les traits. Il a pas cumulé beaucoup de sommeil ces derniers jours. Il est mort. Bordel, ça tourne en boucle dans sa tête. Il exècre ce mot qui lui a déjà fait trop de mal par le passé. Puis Izie, elle a pas donné assez d'info pour qu'il comprenne. Un accident de voiture. Pour une connerie pareil. Comme quoi, la vie ne tient qu'à un fil, mince et invisible. On peut pas vraiment déjouer la fatalité et jouer avec sa vie quand on y pense. Il retire son manteau et se vautre lamentablement sur le sol. Avec beaucoup moins de classe que lorsqu'ils ont passés cette soirée ensemble avec Tori. Et s'il en garde un excellent souvenir, ce n'est pas vraiment dans sa tête, là tout de suite. Il est aigri. Méprisable. Il a pas envie de croiser son chemin à sa colocataire. Il préfèrerait volontiers se noyer dans un océan de gerbe. En parlant de ça, l'envie se fait grandissante et le voilà en train de courir jusqu'au chiotte. Y'a pas idée de se mettre aussi minable putain. La tête dans les chiottes, il reste là, immobile. Il a envie de hurler, de chialer toutes les larmes de son corps mais y'a rien qui sort à part de la rancoeur. Il marmonne des conneries incompréhensibles quand il entend Tori derrière la porte des toilettes. J'veux pas parler. qu'il dit d'un coup, froidement.

Cette dernière semaine, elle a été un peu étrange, pour Tori. Y'a eu cette soirée avec Rafe. Tellement mal partie, tellement mal finie. Mais pas de la même façon. elle ne se souvient pas de grand chose tant elle avait bu. Pourtant, un flash de Rafe entrain de l'embrasser lui revient en mémoire. C'est peut être ça, la cause de sa nausée, et non l'alcool de la veille. La fac est intéressante en ce moment, le rythme au Red Velvet plus supportable. Elle passe du temps avec sa nièce, avec Néo aussi. Sa vie semble enfin rentrer en ordre, elle ne fait plus d'insomnie, elle n'est plus réveillée par son coloc. Peut être parce qu'il est aux abonnés absents. Après un ou deux jours, elle s'est mise à s'inquiéter, quand même. Généralement, ils s'envoient un sms ou laisse un post-it sur le frigo. Mais là, elle n'a aucune nouvelle et ce, malgré les dizaines de textos envoyé. Ce n'est pas normal. Et elle ne le connaît pas si bien, elle ne connaît ni ses habitudes ni ses problèmes et il pourrait bien être au fond d'un ravin à l'heure qu'il est. Quand elle rentre du cabaret, à minuit, elle ne s’attend même plus à le voir. L'appartement est silencieux. Tori n'entends que les ronflements du chat, affalé sur le canapé, profitant de ne plus être embêté par Rafe. Elle soupire, Tori, avant d'aller dans la salle de bain, prendre une longue et chaude douche. Elle a le dos engourdi, en ce moment, et donnerait tout pour un massage. Elle ne fait pas vraiment long feu, ce soir puis qu’immédiatement après la douche, elle part directement se mettre au lit. Habituellement, elle fixe bien dix minutes les étoiles, sur son plafond, avant de trouver le sommeil, mais ce soir, elle tombe comme une masse et dort comme un bébé jusqu'à ce que la porte d'entrée s'ouvre brutalement, lui rappelant le fameux soir où Rafe est rentré, furieux, dans sa chambre. Alors elle sursaute, fixe sa porte, s'apprête à riposter, mais rien, le silence. Et puis le bruit gracieux de son coloc qui vomit ses tripes dans les toilettes. Elle est partagée entre être heureuse de le voir et dégoûtée. Mais comme il ne semble pas être au meilleur de sa forme, et que c'est la première fois que ce genre de chose arrive, elle se lève de son lit, pour se diriger vers les toilettes. Elle s’appète à entrer, Tori, mais la voix faiblarde de Rafer lui parvient, et elle sourit. « Tu veux un aspirine, quand même ? » qu'elle demande, les bras croisées, devant la porte.

Il vomit ses tripes le con. Il gerbe son existence, dégouté par lui même. Empli de foutus remords. Quelle merde tiens. Fallait que ça lui tombe dessus. Bordel, lui qui essayait tant bien mal de s'éviter ce genre de scène en arrêtant de s'attacher aux autres. Tu parles, ça lui revient en pleine tronche comme s'il avait fait quelque chose de mal. Une chose est certaine, ce foutu dieu si y'en a un, ne l'aime pas beaucoup. Il se souvient de son visage à Sohan, de ces traits. Il a envie de tout foutre en l'air, de trouver une batte de baseball et de tout détruire dans l'appartement, une chance pour Tori qu'il la respecte, sinon y'aurait plus de truc en vrac. Ou alors elle a simplement de la chance qu'il soit trop déchiré pour faire ce qu'il pense. Laisse moi. qu'il sort avant d'attendre une bonne minute et de sortir lui après avoir essuyé le surplus de vomi sur sa manche. Il ouvre la porte et la voit devant lui, un air désolé sur le visage. ouais, j't'ai pas répondu parce que j'voulais pas t'parler. Et j'm'en fous si j't'ai réveillé tiens. Voilà. Un rire jaune lui échappe tandis qu'il reprend : et oui, je suis un sale con, t'as pas oublié. Il est totalement bouleversé. Il ne veut pas entendre cette vérité. Il ne veut pas que son pote soit mort et enterré putain. Puis y'a cette dernière fois qui lui trotte dans la tête. Il l'avait insulté de conneries. Il avait jouer les fiers. Il avait fait semblant de ne pas être atteint. Abruti, s'il avait fait ne serait qu'un pas, peut être qu'il serait encore en vie. Et s'il vivait plutôt bien sans lui, il a l'impression d'avoir un poids sur les épaules maintenant qu'il sait. j'ai pas besoin d'toi. Tu parles. Bien sur que si, il a besoin d'elle. Bien sur que si il lui faut une épaule attentive, quelqu'un sur qui il peut compter. Parce qu'il a personne à qui en parler, personne à appeler pour défier sa peine. Il gère ça tout seul comme un pauvre con depuis plusieurs jours. Mal à en voir son état. Il ressemble à rien. Il pu la charogne. Un mélange de transpiration, d'alcool et de clope. Il avance, passe devant elle et finit par se vautrer dans le salon en frappant le sol. Putain.

Elle ne sait pas gérer ce genre de situation, Tori. Les gens ivres, les gens en colère, Rafe. Et encore moins Rafe en colère et ivre. elle a juste l'impression qu'il joue au con, au début, comme toujours. Elle est même prête à l'envoyer pétré, mais finalement, elle voit la détresse dans ses yeux. Tori ne l'avais jamais vu comme ça, avant. Elle qui pensait qu'il gardait tout à l’intérieur. Voilà ce qui arrive quand il explose. Il sort des toilettes, vilain, le teint jaunâtre, les yeux injecté de sang et la mâchoire serrée. Il pue, l'alcool, le vomi aussi, ça la prend à la gorge et tu plisses le nez. Il veut qu'elle le laisse tranquille, c'est bien mal la connaître. Alors elle reste plantée devant lui, lui propose un cachet mais il la fusille du regard, lui rit à la gueule. Elle secoue la tête, lui foutrait bien son poing sur la tête pour lui remettre les idées en place. Mais elle reste silencieuse même si ça la chatouille. « ok. » qu'elle réponds simplement. Elle se répète quand il affirme ne pas vouloir d'aide, alors que ses yeux crient toute sa détresse. Elle le suit du regard, soupire et se dirige vers la cuisine pour prendre une bassine – au cas où- un bouteille d'eau et un paquet d'aspirine qu'elle vient poser devant lui, avant qu'il frappe le sol, de colère, de douleur. Elle s'assied non loin de lui, bras croisés, et le regarde. « Je vérifie juste que tu ne t'étouffes pas dans ton vomis. »elle dis, simplement. Les minutes passent et il l’ignore royalement, ça l’énerve, Tori. Parce qu'elle sait qu'il a besoin de parler. Mais il est comme lui finalement, il garde tout pour lui, déteste parler, montrer ses faiblesses. Putain, ils se sont bien trouver tient. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » qu'elle finit par demander, parce qu'ils ne peuvent pas simplement s'ignorer jusqu'à ce qu'il s'endorme, en chien de fusil. Elle ne sait pas trop comment réagit dans ce genre de situation. Elle sait qu'elle ne doit pas essayer de le réconforter, qu'avec lui, ça ne marchera pas. Mais ensuite ? Il risque de l'envoyer bouler à chaque mot échappé. Peut être devrait-elle simplement garder le silence et attendre qu'il se décide tout seul ? Trop tard.

Ca fume dans le fond d'son crâne, il parvient plus à avoir des pensées cohérentes. C'est son corps entier qui tremble tellement il a mal le con. Il savait pas mais c'est pire en fait, parce qu'il imagine Rafe alors ça le pourrit de l'intérieur, ça le ronge. L'impression d'être un vieux nonos. Merde. Merde.Merde. Puis il est pathétique là, à jouer les dramaturges shakespeariens en plein milieu du salon. Pas prêt à revenir. Pas prêt à voir Tori. C'était évident qu'elle lui poserait des questions sa colocataire. Sans doutes même s'est elle inquiété de son sort. L’égoïsme qui revient au galop. Putain, c'est une idée ça, crever dans son vomi. Une belle fin en soit, il voit déjà ce que les gens pourraient écrire sur sa tombe : une vie atypique, une fin qui lui ressemble. Il est là, étendu comme un con, la seule personne au monde qui pourrait le réconforter à côté de lui et il l'ignore, il dit rien. Le silence qui plombe, qui fout une atmosphère froide à travers la pièce. Il rejoint ses travers en imposant une distance. Ils avaient pourtant dépassé ce stade quelques jours plus tôt. Un pas en avant, deux en arrière. Rien. C'est justement ça l'soucis, il s'passera jamais plus rien. qu'il ironise de sa voix cassée et un brin cassante. Sauf qu'au milieu de ses airs de cons, son impertinence et sa méchanceté se cache sa détresse. Il se livre comme il peut. Y'a qu'à ça qu'il excelle de toute façon, le sarcasme. Quoi ? Tu veux qu'j'pleure dans ton décolleté et qu'on partage un moment d'intimité. Ce serait grandiose tiens. il se marre, mesquin. Non merci. Si  c'est pour qu'tu t'casses ou que tu crèves tiens. laisse tomber, garde là pour les autres ta foutue compassion et tes sourires de merde. Après tout, il peut faire son étoile de mer et rester là sur le sol des heures durant en fustigeant le monde entier seul. Il a pas besoin d'elle. Il essaie de s'en persuader parce qu'admettre qu'il a besoin d'elle, c'est admettre une faiblesse. Il a jamais reçu d'aide des autres. A part peut être celle de Sohan, c'est une très belle ironie quand on y pense. Presque cocasse quand on y pense. La vérité, c'est qu'il va mal parce que le seul mec qu'il a considéré comme un pote est mort et ça fout la haine.

Elle est assises près de lui, en tailleur sur le vieux fauteuil qu'elle a récupéré chez sa mère, celui du bureau de papa. Le cuir brun est craquelé, et il sent la cigarette . Mais elle l'aime bien, Tori, elle l'aime beaucoup. Sur ses cuisses nuits, une constellation bleue prends vie et elle suit distraitement, de ses ongles colorés, les hématomes-voies lactées. Ça ne fait plus vraiment mal, maintenant. Et puis, il s'est excusé, elle ne lui en tient pas rigueur. Le silence, il est pesant. Rafer l'inquiète, même si elle ne l'avouerait pour rien au monde. Elle a sa fierté. Pourtant, elle dort mal, ces dernières nuits, en ne sachant réellement où il est. Et maintenant qu'il est rentré, son angoisse ne se tarie pas. Elle sent bien qu'il s'est passé quelque chose de grave. Mais elle n'arrive pas à comprendre quoi. Elle ne l'a jamais vu aussi affecté par quelque chose. Finalement, y'a sa voix qui claque, dans la nuit. Sarcasme dégoulinant. Elle lève les yeux au ciel. Elle n'est pas con, Tori, elle a bien compris que c'est un moyen de se défendre. Elle passe outre, elle essaie de comprendre. « Qu'est-ce que vous avez tous avec mon sourire ! » elle dit, plus pour elle même, avant de reprendre. « Je comprends rien, là, mais j'vais ni crever, ni partir. Je suis coincée ici avec ton caractère de chien, désolé. » elle essaie de faire un peu d'humour. C'est loupé. Silence, de nouveau. Soupire, elle regarde le plafond, une longue fissure le traverse, ça ne prévoit rien de bon. Le plafond de son dernier appartement c'est effondré. Espérons que ça ne recommence pas. « tu veux que je te fasses quelque chose à manger ? Avec tous ce que t'as gerbé, tu dois avoir faim. En fait, c'est pas une question, tu vas bouffer, sinon, demain, ça sera pire.» et elle se lève, l'air de rien, passant à côté de sa tête, écrasé au sol.

C'est débile de se dire que c'est maintenant que son pote n'est plus là qu'il se rend compte de sa vraie valeur. Il n'avait jamais autant déploré le fait qu'ils ne se parlent plus depuis des années qu'à l'instant où les mots d'Izie ont broyés sont cerveau. Il avait pourtant su se passer de lui toutes ses années. Il avait fait sans lui et ne s'en sortait pas si mal. Alors pourquoi son cœur est aussi endolori, pourquoi ça tambourine dans le fond de son crâne sans qu'il n'arrive à apaiser cette souffrance abjecte. Si tu finiras par crever, j'suis désolé d'te l'annoncer. Il ironise une fois de plus, parade ultime à la douleur, la seule qui tienne encore la route même si le subterfuge est aisément descellé par sa colocataire. Puis le silence. Amer. Mesquin. Il s’insinue dans la pièce comme un venin. Tori, elle reprend quand même, elle parvient à prendre sur elle tandis qu'elle est face à un être d'une absurdité la plus totale. Seulement voilà, elle dit rien et propose même de lui faire à bouffer. Il a de la chance de l'avoir le con. Il est affalé comme une merde contre le sol. Il peut pas vraiment se lever. Il a arrêté d'essayer, c'est trop compliqué pour son cerveau de joindre les deux bouts. Ces membres et sa tête sont plus reliés les uns aux autres. Il se gratte le nez. Puis, après quelques minutes de silence et de calme, il se redresse doucement pour s’asseoir, une première étape victorieuse. Pourquoi ? Une question très ouverte, trop vaste pour qu'elle lui fournisse une réponse et il le comprend quand il aperçoit ces yeux éberlués. Pourquoi tu veux m'aider ? Jusque là, on peut pas dire qu'il ai été particulièrement sympa avec elle, surtout ses derniers jours et ses dernières minutes. Il joue au feu et à la glace, tantôt sympathique, tantôt froid comme un glaçon. Et elle, elle lui fait à bouffer putain, ça le tue lui. Il lui en voudrait presque d'être si gentille, y'a du ressentiment dans sa voix enraillée. Et pourtant, elle est sans doutes la seule qui puisse véritablement le réconforté. La seule qui le connaisse suffisamment pour réussir à déjouer la fatalité de sa tristesse. Surtout depuis que Izie a mit les voiles. Elle aurait pu l'aider elle mais elle s'est cassé comme les autres. Sans doutes que c'était trop dur de le revoir, de parler de son frère, de sa mort.

Elle n'a jamais vraiment connu de deuil, Tori. Évidement, quand son père est parti, elle a cru qu'elle allait en mourir. Mais elle sait qu'il est toujours en vie, quelque part et c'est rassurant. Donc ouais, Tori, elle pourrait difficilement comprendre ce qu'il endure, Rafe. D'autant plus qu'il est secret comme garçon, et que forcément, il ne montre absolument pas ses émotions, et il ne se confit pas à elle. Ils sont amis pourtant, encore, elle l'imagine. Elle le considère comme un ami en tout cas, à voir si c'est réciproque. Elle esquisse un sourire désabusé quand il prends la parole. « Ouais, mais j'espère bien que ça n'arrivera pas demain. » elle hausse les épaules. Elle a envie de le secouer, de lui dire que ça ne lui ressemble pas, d'être comme ça, qu'il faut qu'il se ressaisisse Mais elle garde le silence, Tori, et elle le regarde. Finalement, elle se lève, rejoint la cuisine et met de l'eau à chauffer. C'est une piètre cuisinière, mais elle peut quand même faire cuire des pâtes. Alors elle le fait, et tendit qu'elle fouille dans le placard pour trouver le papier, la voix de Rafer brise l'étrange silence qui s'était installé. « Parce que t'es mon ami, même si tu te comporte comme un crétin la plupart du temps. Et puis j'ai pas envie que tu vomisses sur mon tapis. » elle dit, parce que malgré la situation, elle garde son sens de l'humour, Tori. L'eau chauffe relativement vite, et les pâtes cuisent en trois minutes. Alors, moins d'un quart d'heure après cet étrange chante, elle égoutte les pâtes, les mets dans une assiette avec un peu de beurre et l'apporte dans le salon, choppant une bouteille d'eau, une boite d'aspirine et une fourchette au passage. Elle dépose tout son attirail anti-gueule de bois sur la table, alors que Rafer est passé de l'étoile de mer, au lamantin échoué sur le canapé ; elle sort un caché de la boite, prends la bouteille d'eau et s'approche de lui. Elle a l'impression de revenir dix ans en arrière quand elle s'occupait de sa sœur malade. « ouvre le gosier » elle dit, le cachet en évidence entre ses doigts parfaitement manucurés. « Sinon, c'est moi qui l'ouvre, et je vais te faire mal avec mes griffes de sorcières. » c'est comme ça qu'il les a appelé, la dernière fois qu'elle faisait ses ongles. « allez, grouille Rafe ! »

Il a pas l'habitude d'avoir du monde autour de lui Rafe. Il rumine sa peine seul comme un gros con. Il préfère la solitude à l'amitié. Parce que c'est pire quand la pitié des autres se lit à travers leurs regards. C'est pire quand on le voit dans cet état de vulnérabilité. Izie, elle aurait eu l'droit elle, d'le voir comme ça, comme une belle merde écrasée dans le canapé. Parce qu'elle comprend sa détresse, parce qu'elle le connaissait Sohan. Sauf que le fantôme a apparu et disparu dans la même journée. Il a bien essayé de la retrouver mais rien à faire, c'est comme si elle n'était plus sur cette planète, certainement pas dans cette ville en tout cas. Alors Rafe, il a personne avec qui ressasser ses vieux souvenirs de son pote. Personne avec qui se foutre un peu de sa gueule, en hommage. Il peut pas faire ça avec Tori, elle le connait pas So. Elle sait pas qui il était. Sauf qu'elle est là, elle l'aide putain. Il se comporte de façon abjecte et elle continue de l'aider. C'est ça être amis ? Continuer de soutenir l'autre même dans les mauvais moments. Continuer d'être une épaule pour pleurer ou une main tendue. Il en avait entendu parlé Rafe mais n'en avait jamais vraiment voulu avant ce soir mais là, il en a comme besoin, ça lui fait un bien fou. Quelques secondes d'oppositions. Juste pour la faire chier, admettons le. Il finit par ouvrir la bouche et grimace quand elle lui engouffre le cachet dans la bouche. C'est vraiment dégueulasse cette merde. Quelques gorgées d'eau. Il baisse la tête et dit finalement : Merci. Il relève la tête vers elle. Il la mérite pas. C'est juste un pauv' type égocentrique Rafe. T'as d'jà perdu quelqu'un ? Comment on fait ? parce qu'il a l'impression que la douleur ne s'estompera jamais. Il a mal au myocarde. Trop mal pour envisager la guérison à cet instant. Un peu peur que les choses ne se rétablissent pas. Ca avait mit tellement longtemps avec sa mère, les séquelles et cicatrices encore ouvertes. Ce sera pareil avec Sohan ? Rafe en fait, il est juste victime de ses propres sentiments, c'est pour ça qu'il a du mal à s'attacher, qu'il fait semblant d'en avoir rien à battre des autres, qu'il enchaine les nanas sans les respecter. C'est surtout pour pas donner. Pour pas recevoir.

Il ne se débarrassera pas d'elle si facilement, Rafe. Ils sont amis maintenant, que ça lui plaise ou non. Et peu importe ce qu'il peut dire comme connerie, Tori restera, enfin, c'est ce qu'elle s'imagine. Elle a compris comment il fonctionnait maintenant. C'est un mécanisme de défense. Elle, elle est exubérante, et lui méchant. C'est comme ça, faut faire avec. Et puis elle sait maintenant qu'il n'est pas toujours comme ça, alors ça la conforte dans l'idée qu'elle veut être la pour lui. Alors elle lui fait cuire des pates, pour qu'il est quelque chose dans l'estomac et elle lui apporte un aspirine, même s'il semble trop amorphe pour le prendre. Très bien, elle a gardé sa nièce et son filleule, quand ils étaient encore petit, alors nourrir quelqu'un à la petite cuillère, ça la connaît, et ce serait lui, le plus gêné des deux. Il accepte finalement de prendre le cachet et elle lui tends l'eau. Un sourire prends naissance sur son visage. « Rafe qui dit merci ? J'aurais dû l'enregistrer, j'en aurais fait une sonnerie. » ouais, même dans ce genre de mauvais, elle fait des mauvaises blagues, Tori, elle est piquante, comme pour lui montrer que parfait, c'est vraiment un sale type. La question qui suit la prends cependant de court. Elle grimace. « Je n'ai jamais vraiment connu la mort. » qu'elle avoue. « Mais j'ai été en deuil quand mon père est parti. C'était la seule personne qui s’intéressait vraiment à moi et...c'est comme si je mourrais de l’intérieur. C'est normal d'être en colère ou malheureux. Mais n'essaie pas d'oublier. La personne...que tu as perdu, elle continue de vivre en toi, en quelque sorte. La douleur s'estompera avec le temps, j'imagine. Mais ne te mets plus dans de tel état, ne te mets pas en danger inutilement. Ça ne la ramènera pas, c'est dangereux, et ça ne t'aide pas... » elle est très maladroite, pas franchement certaine que ça l'aidera, mais elle fait de son mieux, Tori.

Il est véritablement ridicule ce soir. Pathétique, on dirait un scarabée qui se débat pour se remettre à l'envers sans avoir la moindre clé du comment. Il sait pas. Et Tori, elle l'aide, elle l'aide vraiment. Cette main tendue, il ne l'a plus eu depuis trop longtemps, si bien qu'il a oublié ce que ça faisait d'avoir quelqu'un sur qui compter. Il devient faible et amical ces derniers temps punaise, une vrai loque, d'abord cette histoire avec Chloé, puis Sohan qui le fout sans dessus dessous et enfin Tori qui est son ami. Un mot qui lui aurait écorché la gorge quelques semaines plus tôt mais qui aujourd'hui le rend jouasse. Faut croire qu'il a plus d'amour à rendre qu'il ne le laisse croire Rafe. La peur de souffrir reste là, tapis dans un coin de son crâne et ne tardera pas à ressortir, peut importe la forme. Ouais ouais c'est bon, j'suis défoncé, ça compte pas. Une excuse qu'elle ne prendra sans doutes pas en considération mais il se devait de le dire pour appuyer son comportement étrange. Elle se livre sur son père Tori. Il est attentif comme un gosse devant le roi lion Rafe, il la fixe avec ces grand yeux noirs. Moi j'crois que la douleur, elle est toujours là et qu'elle fini toujours par t'prendre à la gorge. Et là, ce n'est plus de Sohan qu'on cause mais bien de sa mère à lui. Quand ma mère est morte, tout le monde m'a dit que ça irait mieux, qu'on "oubliait". Il appuie ses propres du geste avant de reprendre C'est des foutaises ça Tori, on oubli jamais et visiblement, tu le sais aussi bien que moi. On vit juste avec comme des gros cons, on continu de grandir mais y'a une part manquante et elle sera toujours absente. Fataliste sans doutes le gamin, mais c'est véritablement ce qu'il pense depuis des lustres. C'est tout cette entreprise là qui l'a poussé à s'éloigner des gens et se contenter de relations de surface. Sauf qu'il comprend à cet instant que c'est peut être pas suffisant, parce que Tori, rien qu'en étant là, lui réchauffe le coeur. Et cette conversation n'aurait pas eu lieu s'il l'avait pas laissé entrée...