Un pas après l'autre, la démarche mal assurée. Les yeux cernés de fatigue et un peu de peine au fond du palpitant. Les gardes à l'hôpital sont longues, s'enchaînent, ne se ressemblent pas pour autant. Ça le vide de son énergie et en général il repart ainsi ; fantôme déambulant maladroitement entre les passants, une ombre qui glisse sur les murs à la lueur d'un soleil qui se couche. C'est un peu perdu dans ses pensées qu'il manque de lui rentrer dedans. Il pile, s'arrête, se prépare mentalement à l'instant gênant qui va suivre – si, vous savez, cet instant où on se regarde dans le blanc des yeux en se demandant pardon. Mais quand il lève la tête, le schéma change. Le résultat est le même ; c'est gênant. Mais pas pour les mêmes raisons. C'était pourtant inévitable, qu'il allait finir par la recroiser, un jour. Parce que le monde est petit, et Brighton encore plus. Il garde les mains enfoncées dans les poches de son manteau alors que son regard s'échoue sur elle. Sur ce visage qui le ramène à quelques mois en arrière, à ce moment d'égarement, ces promesses d'une nuit et rien de plus. Il se sent un peu con, Teddy. Il se sent de trop. Il y a toute son âme qui lui demande de fuir, mais ses pieds qui restent ancrés dans le sol. Il ne sait même pas ce qu'il doit penser de ça, de cette rencontre. Est-ce qu'il est heureux de la recroiser ? Juste mal à l'aise ? C'est terriblement confus et ça fait des nœuds dans sa caboche blonde. « Lisa. » Qu'il souffle finalement. Un semblant de sourire décore le vermillon de ses lèvres, un peu de chaleur réchauffe ses prunelles. Trouver les mots, trouver quoi dire pour ne pas avoir l'air trop stupide ; plus facile à dire qu'à faire. Il danse d'un pied sur l'autre, se noie dans sa maladresse. « Ça faisait un bout de temps. Tu as l'air. Bien. » Une esquisse de compliment qui lui échappe et il se dit qu'il aurait mieux fait de s'étrangler entre deux syllabes. Il est ridicule. « Oh et désolé, je ne regardais pas où j'allais. » Il hausse un peu les épaules et retrouve un sourire légèrement plus franc. Ça ne peut pas être si terrible, pas vrai ?

La brise soufflait légèrement sur la ville. Quelques feuilles, vestiges d’un automne frais, volaient dans tous les sens. Lisa n’y prêtait pas attention. Son esprit était nulle part, et partout à la fois. Ses pensées n’étaient qu’un trou noir. Un puits béant où les mots fusaient, les scènes se noyaient, se répétaient en boucle. Comme une chanson entêtante et commerciale, avec une mélodie bateau mais entrainante. Le cœur lourd, elle s’avançait dans les rues de la ville. Le froid s’infiltrait sous son manteau, sous sa peau. Elle l’absorbait, ce froid, à pleine bouche. La douleur était anesthésiée, et ses erreurs n’étaient qu’un détail face au vent. Alex l’aimait malgré tout. Elle le voyait dans ses yeux, dans ses gestes tendres qu’il oubliait de dissimuler, parfois. Il l’aimait, mais il méritait tellement mieux. C’est un peu désorientée qu’elle s’arrête brusquement, ses mains paumes tournées vers l’homme à la carrure imposante, comme pour empêcher le choc qui n’arriva jamais. Elle lève la tête, Lisa, parce qu’il est grand, et qu’elle n’est qu’un petit brun de femme face à lui. Les mots d’excuse meurent quelque part au fond de sa gorge. Son regard se posa sur l’inconnu qui n’en est, finalement, pas un, sur ce visage familier. Des flashbacks d’une nuit pas si lointaine se mélangeaient dans sa tête. La honte colora ses joues d’une rose pâle. Ses doigts agrippèrent les pans de son manteau. Elle était mal à l’aise, Lisa. Ce qui était rare pour cette femme d’habitude pleine d’assurance devant un jury capricieux et sceptique. « Teddy, hey. » Les quelques syllabes s’échappèrent dans un rire nerveux, alors qu’une de ses mains s’éleva rapidement pour coincer une mèche de cheveux derrière l’oreille. « Toi aussi. T’as pris, um, des couleurs, » souffla-t-elle, les sourcils froncés, presque atterrée devant sa propre remarque. Le froid lui donnait probablement des couleurs, mais qu’était-elle supposée dire ? Excuse-moi de t’avoir rendu complice de mes infidélités ? « Je ne regardais pas non plus, t’en fais pas. » Elle balaya sa remarque d’un geste de la main et d’un mince sourire. Elle évita son regard, se focalisant sur des détails insignifiants de la rue. Un feu rouge, une devanture, un passant au téléphone, la couleur d’une voiture. « Je suis désolée pour l’autre soir. J’avais trop bu, j’aurais pas dû…et maintenant c’est gênant entre nous, » déclara-t-elle finalement, la poitrine gonflée de remords, croisant son regard.

Une rencontre qu'elle aurait sans doute préféré éviter. Et peut-être que lui aussi, dans le fond. Peut-être qu'il ne se sent pas capable d'assumer ce qu'il a fait. Plus de mal que de bien, comme un peu trop souvent dernièrement. Un drôle de sourire barre ses lèvres, il hausse les épaules, avale sa nervosité de travers. Pris des couleurs ? Un rire maladroit roule sur ses cordes vocales. « Ah, oui. » Qu'il lâche simplement, amusé par la situation malgré tout. Peut-être un peu rassuré de constater qu'elle ne gère pas mieux la situation que lui, au final. Il mâche les mots qu'il n'arrive pas à trouver, se mord la langue par deux fois. Ce que tu peux être pathétique, Walsh. Mais qu'est-ce qu'il peut bien lui dire ? Qu'il est désolé pour la dernière fois ? Désolé de l'avoir poussée à la faute, pire encore, de ne pas l'avoir arrêtée alors qu'il savait très bien qu'elle était mariée ? Il se dit qu'il vaut mieux éviter le sujet, même si mettre les deux pieds dans le plat est sa spécialité, dernièrement. Il se contente de triturer les coutures intérieures de ses poches, d'ancrer son regard sur les traits de la blonde, à défaut de pouvoir capter son regard fuyant. Ses mots tombent pour percer le silence gênant qui avait commencé à s'installer, un soupir presque soulagé coule des lèvres du chirurgien. « Oui, à ce sujet... » A ce sujet, y'a rien à dire Teddy, arrête de t'enfoncer. Il secoue la tête, fait un petit geste de la main comme pour balayer le sujet. « Enfin c'est rien. Faute partagée, on dira. J'aurais pas dû boire non plus, pas du accepter tes avances comme ça. » Les yeux s'écarquillent quand il se rend compte de ce qu'il vient de dire, de ce que ça peut sous-entendre. « Enfin il n'y avait pas que toi, moi aussi je t'ai fait des avances et. » Et tu te noies dans tes explications, Walsh. Un soupir consterné lui échappe, il prend une pause, essaye d'arrêter de s'étrangler sur ses explications bancales. « Désolé. De toute façon, c'était juste l'histoire d'une fois. » Il hausse un peu les épaules, tente de se rattraper comme il peut, de sauver les meubles avant qu'il ne finisse par tout incendier, avec ses mots maladroits. Il la regarde enfin. Dans le fond oui, il n'a jamais été question de plus. Mais il y a les résidus d'une drôle d'amitié qui restent coincés quelque part dans sa boîte crânienne. Les souvenirs de soirées d'été à refaire le monde autour d'une bière ou d'un café. « Et puis, c'est gênant si tu veux que ce le soit. C'est ok pour moi, c'est déjà oublié. » Qu'il ajoute dans un petit rire nerveux.