ça te fait chier, mais t'as bien du t'arranger avec la gardienne pour quelques heures plus. parce que tu bosses quoi. et arranger t'es heures c'était pas possible. pas à c'point. alors elle garde ta noa quelques heures d'plus, en échange de quelques billets froissées à son intention.
un soupir s'échappe de tes lippes, alors que tu te termines enfin. veste sur les épaules, clope coincée entre les lèvres. t'marches dans les rues de la ville, l'air pressé, l'air fermé, alors que tu bouscules une ou deux silhouettes. tu t'en fiches bien des gens. tu te fiches bien de tout l'monde. tes doigts s'enfoncent dans tes poches et tu continues ton bout de chemin. tes doigts tatoués s'emparent de ta clope, s'occupent de jeter le mégot au sol, alors que tes doigts esquissent tes traits.
tu rentres dans la petite maison, un sourire tendre sur les lèvres. rare sourire sur ton visage, à la vision d'la petite. elle prend place dans tes bras, les billets dans les doigts d'sa gardienne. tu la remercies une dernière fois, avant de rejoindre la rue une nouvelle fois. tu ralentis un peu l'rythme, maintenant qu'ta princesse a prit place dans tes bras. tu la gardes contre toi, son visage délicatement posé contre ton torse.
tu termines par t’arrêter. silhouette familière en face d'toi. non. pas possible. pas lui, putain d'merde. tu clignes des yeux, prêt à faire demi-tour, changer de route. mais v'là que vos regards se croisent, qu't'on misérable p'tit palpitant loupe un battement.

Cela ne faisait que quelques jours que Kieran était de retour, mais ces quelques jours avaient vraiment été les meilleurs depuis bien longtemps. Demyan lui avait vraiment affreusement manqué et il profitait pour rattraper le temps perdu. Car oui, il avait décidé de prendre un congé sans solde pour rester aux côtés de son mari, pour tenter de se faire pardonner pour ses absences trop nombreuses et parfois trop longues. Demyan avait récemment perdu sa sœur jumelle et au lieu d'être resté à ses côtés, Kieran avait continué le boulot. Pourquoi ? Pourquoi ne s'était-il pas imposé davantage ? Peut-être qu'au fond, il avait voulu s'éloigner de toute cette tristesse...Quoiqu'il en soit, il s'en voulait beaucoup et il tentait donc de se racheter. Bien sûr, il ignorait encore tout de ce qui s'était tramé dans son dos pendant son absence...
Ayant donc tout le temps du monde, il avait décidé de faire un tour en ville dans l'optique de trouver un cadeau de Noël pour Demyan. Ils avaient fait leurs achats ensemble la veille, mais bien sûr, Kieran n'avait pas pu acheter quelque chose pour son mari sans gâcher la surprise. Mais la tâche s'avérait plus difficile que prévue.

Il errait donc un peu dans les rues, entrant dans plusieurs boutiques à la suite pour en ressortir bredouille. C'était bien plus compliqué qu'il ne l'avait cru. Mais rien n'aurait pu le préparer à la suite. Alors qu'il sortait tout juste d'une énième boutique, son regard se posa sur un visage familier. Son cœur loupa un battement, sa gorge se serra et son estomac se noua. Non...Ce n'était pas possible. A quelques pas de lui se tenait nul autre que Blake. Blake...son frère qui l'avait totalement rejeté depuis qu'il avait fait son coming-out. Blake qui avait disparu de sa vie depuis des années. Blake qu'il n'avait fait que croiser une poignée de fois à des réunions de famille. Blake qui lui avait terriblement manqué et qui lui manquait encore tous les jours. Blake dont il avait jadis été si proche...Tout ça refit surface d'un seul coup et toutes ces émotions faillirent l'étouffer, le submerger totalement. Il ne savait pas combien de temps il était resté planté là à fixer ce jeune homme qu'il avait l'impression de ne plus connaître, ce frère devenu inconnu... Finalement, son regard se posa sur la petite fille dans ses bras. Qu'est-ce que ça signifiait ? Son frère avait-il eu un enfant ? Pourtant, leurs parents ne semblaient pas au courant...A moins que ce soit la fille de l'un de ses amis. Il n'en savait rien, tout se bousculait dans sa tête.

Il était néanmoins sûr d'une chose: cette fois, il ne laisserait pas Blake s'échapper. Il aurait sa discussion. Cette discussion qu'il avait toujours voulue avoir avec lui, mais qu'il n'avait jamais obtenu. "Blake..." Un murmure, faiblement porté par le vent tandis que Kieran franchissait les derniers pas qui le séparaient encore de son frère. "Je t'en prie, ne fuis pas." Son regard se fit suppliant et sa main attrapa doucement son poignet. "Tu...C'est... ta fille ?" Il lâcha le poignet de son frère, observant à présent la petite. Elle était adorable...Un petit sourire triste se dessina sur les lèvres du jeune homme, mais il ne dit rien de plus. A cet instant, il ne savait plus quoi dire. Il était perdu, submergé par ses émotions. "Il y a un café pas loin..." Sous-entendu ils pourraient s'y rendre pour discuter. Même s'il doutait que Blake obtempère. Mais qui savait ? On était proche de Noël et un miracle pouvait encore avoir lieu, non ?

t'aimes pas ce genre de journées. longues et épuisantes. la ou la nuit règnes quand tu t'lèves et quand tu sors du taff. enfin, nuit. l'obscurité quoi. foutues horaire d'hiver. soupir sur tes lèvres, alors que tu ne tardes pas à récupérer noa. noa ta princesse. noa qu'tu pensais pas aimer autant, au final. rayon d'soleil dans ta piètre vie d'gamin un peu dérangé dans sa tête. tu t'pinces les lèvres, la gardant dans tes bras, emmitouflées dans ses vêtements chauds. faut pas qu'elle tombe malade, noa. non, faut pas. la panique débarquerait bien trop vite.

soupir sur tes lippes, le froid revient bien rapidement s'infiltrer sous ta veste pas bien épaisse. ta santé à toi, tu t'en fous pas mal, en réalité. t'as pas peur d'tomber malade, même si t'sais que tu risques d'faire tomber ta fille malade. mais on change pas les mauvaises habitudes. et tu t'arrêtes finalement au beau milieu d'la rue. bug total alors qu'y'a ton frère en face de toi. non. pas possible. t'veux pas. t'peux pas. ton étreinte autour d'la gamine se resserre un peu, imperceptible. blake... pincement sur les lèvres, pincement au cœur. t'as un petit mouvement d'recul. involontaire. mais bien présent. je t'en prie, ne fuis pas. sa main autour d'ton poignet. t'as pas l'choix. t'peux pas, en pleine rue, juste, l'envoyer chier. ton regard s'ferme un peu, t'en ai conscient d'ça. tu restes silencieux quelques secondes, suit son regard. noa qui dort toujours dans tes bras. tu... c'est... ta fille ? tu fronces un peu les sourcils. j'viens de la voler à quelqu'un ... évidemment que c'est ma fille. tu marmonnes, un peu mauvais, un peu froid, un peu distant. un peu trop sans doute. t'as jamais kiffé les gamins, à la base. et t'voulais pas d'gosse. mais ... voilà. pas l'choix. pas l'choix du tout. tes parents au courant, la demande de pas en informer ton frangin. ça l'regarde pas, après tout. enfin, visiblement si. il y a un café pas loin... t'as pas l'temps, putain. t'étais pressé, à la base. pressé d'rentrer, pressé d'te glisser sous l'eau chaude, pressé d'rien foutre de ta soirée. tu viens glisser une main dans tes cheveux. comme si ça t'aidais réellement à réfléchir. t'sais pas vraiment faire ça, d'ailleurs, réfléchir. p'tit con impulsif. j'pas toute ma soirée. tu réponds simplement. tu jettes un coup d’œil à ton portable. une demi-heure. qu'tu lui accordes finalement. pas plus. t'as pas c'qu'il faut pour noa sur toi. et t'es soulagé qu'elle dorme. t'espères bel et bien avoir trente minutes d'vant toi. et puis, si elle s'réveille, ça s'ra une excuse pour écourter cette rencontre que t'as même pas envie d'commencer. t'as plus l'choix maintenant.

Se retrouver face à son frère lui avait fait un choc et l'avait fait buguer quelques instants. Tout comme la petite fille dans ses bras. Toutes ces années sans nouvelles, toutes ces années à imaginer tout et n'importe quoi et à n'avoir que de brèves réponses de la part des parents. Ces derniers étaient évidemment tout aussi attristés par la situation que Kieran, mais eux aussi ne pouvaient pas faire grand chose. Et durant tout ce temps, une question revenait sans cesse: Pourquoi ? Peut-être pourrait-il enfin obtenir une réponse à cette fichue question. Ou du moins de petits éléments de réponse. Tout serait mieux que ce fichu silence qui durait depuis bien trop longtemps déjà. Bordel, il était paumé, il était envahi par toutes sortes d'émotions qu'il s'efforçait de garder sous contrôle. Ce n'était pas le moment de se mettre à crier ou un truc du genre. Vu le ton employé par Blake, il ne semblait toujours pas avoir changé d'avis, sa rancœur semblait toujours aussi tenace. Pourquoi ? Maudite question qui avait failli le rendre dingue plus d'une fois. Il ne répondit pas, il aurait le temps de lui en demander plus une fois qu'ils seraient installés dans un lieu plus tranquille. Si toutefois son frère acceptait.

Kieran ressentit un petit soulagement lorsqu'il accepta effectivement. Trente minutes ? Trente ridicules minutes après plusieurs années ? Toutefois, il ne pouvait et ne voulait pas se plaindre. C'était déjà bien plus que ce dont il avait eu droit jusqu'à maintenant. Alors, il se contenta de hocher la tête, puis se dirigea vers ledit café. Sur le chemin, il sortit son portable pour envoyer un message à Demyan, l'avertissant qu'il rentrerait un peu plus tard. Il avait hésité à mentionner son frère car il savait très bien ce que son mari pensait de lui. Mais il se voyait mal lui mentir. Et vu la réponse qu'il obtint, il aurait peut-être mieux fait de ne pas parler de Blake. Il resta un instant immobile, juste devant la porte du café, fixant son écran d'un air incrédule. Demyan lui avait envoyé un message froid, agressif, le genre de message qu'il ne lui envoyait jamais d'habitude. Il allait devoir avoir une conversation avec lui, il le savait. Mais avant, il y avait Blake. Il poussa un petit soupir et pénétra enfin dans l'établissement avec son frère et cette petite fille dont il avait ignoré l'existence jusqu'à maintenant.

Ils s'installèrent à une table un peu à l'écart et Kieran commanda un café avant de finalement lever les yeux vers son frère. "Merci d'avoir accepté." Il eut un petit pincement au cœur en repensant à tous les bons moments qu'ils avaient jadis passés ensemble. "Tu dois te douter de ce que je vais te demander, mais...pourquoi, Blake ? Pourquoi m'avoir rayé de ta vie du jour au lendemain ? On a toujours été si proche..." Et voilà. Il n'avait pas pu s'empêcher de mettre les pieds dans le plat direct. Le pire, c'était qu'il luttait contre les larmes à ce moment précis. Parce que oui, ça lui faisait toujours autant mal d'avoir perdu son frère, celui qu'il avait longtemps considéré comme son meilleur ami, comme sa moitié. Sa moitié dans le sens fraternel, bien entendu. "Si j'ai fait quelque chose de mal...j'aurais autant préféré que tu me le dises directement..." Il poussa un soupir. Oui, durant toutes ces années, il s'était constamment demandé ce qu'il avait fait de mal... Et il n'avait rien trouvé. Rien du tout. Alors, il avait fini par en déduire que son frère était homophobe et que même un amour fraternel ne pouvait pas lutter contre cette homophobie. "Le fait que je sois gay te dérange à ce point ? Bon sang, Blake ! Je suis ton frère ! Ça ne devrait pas avoir d'importance ! Tu as tellement honte de moi que tu n'as même pas voulu me présenter ta fille ? Ma nièce ?" Il se tut finalement et but une gorgée de son café qui venait d'arriver, tentant - vainement - de se calmer. Quelque chose lui disait que la fin de cette journée ne serait vraiment pas de tout repos. Entre cette conversation, l'impression de voir un fantôme et Demyan qui agissait de façon très inhabituelle...nul doute que les sentiments de Kieran étaient mis à rude épreuve.

t'en a déjà marre. t'as déjà envie d'te barrer. faire demi-tour le plus rapidement possible. rentrer dans ton appartement bien trop petit pour deux. coucher noa et t'affaler sur le canapé, griller une cigarette ou deux avant de t'endormir devant un film un peu moisi qui passe à la télévision. soupir sur tes lèvres, alors que tu tombes face à face avec ton frère. kieran. ton cœur loupe un battement et ton emprise sur noa se resserre légèrement. la petite continue de dormir, la tête posée contre ton torse. ton frère qui te demande du temps. un café pas loin. proposition déguisée d'une discussion que tu n'as pas envie d'avoir. tu lui accordes trente minutes. t'as pas vraiment de temps à perdre, déjà que tes journées sont pas assez longues pour tout ce que tu dois faire ... si tu dois gérer kieran en plus ... un soupir manque de s'échouer sur tes lèvres alors que tu termines par le suivre, silencieux.

une table au fond de la salle. tout ce que tu voulais éviter. la discussion qui va s'imposer d'elle-même, alors que tu retires la veste de noa, gardant la petite dans tes bras. t'as pas trop le choix, de toute manière, alors que tu laisses ton frère commander à boire. tu ne prends rien, te mordant l'intérieur de la joue. merci d'avoir accepté. tu hausses vaguement les épaules, restant silencieux, ton regard perçant celui de ton frère, alors que les secondes semblent bien trop longue. tu dois te douter de ce que je vais te demander, mais...pourquoi, blake ? pourquoi m'avoir rayé de ta vie du jour au lendemain ? on a toujours été si proche... sans doute trop. tu ne peux t'empêcher de glisser, froid, amer, alors que tu tournes légèrement la tête, que tes doigts glissent presque nerveusement dans tes cheveux et que ton cœur bat la chamade. le temps n'y fait rien, visiblement. si j'ai fait quelque chose de mal...j'aurais autant préféré que tu me le dises directement... t'as envie de hurler que non. que lui, il y est pour rien, que c'est toi qui a un sacré problème. mais tu peux pas, tu peux définitivement pas. tu retiens un léger soupir. le fait que je sois gay te dérange à ce point ? bon sang, blake ! je suis ton frère ! ça ne devrait pas avoir d'importance ! tu as tellement honte de moi que tu n'as même pas voulu me présenter ta fille ? ma nièce ? tu arques un sourcil, ton regard se posant rapidement sur noa. tu fermes les yeux quelques instants. bordel qui se complique un peu plus dans ton esprit, alors que t'essayes de trouver une solution pour te tirer de cette situation. elle s'appelle noa. elle a neuf mois, sa mère est morte en couche, c'était loin d'être prévu. tu lâches, presque insensible, alors que tu t'y es attaché, à ta gamine. prunelle de tes yeux, sans doute un des trucs que t'as le mieux réussis ces dernières années. tu soupires faiblement. j'ai pas d'explications à te donner, keiran. tu détaches volontairement les deux syllabes de son prénom. j't'ai pas demandé pourquoi t'aimais te prendre des bites dans le cul, alors, ne viens pas m'faire perdre mon temps avec tes questions à deux balles. tu ajoutes, le regard fermé et froid. iceberg, qu'elle disait, la mère de noa. tu viens éloigner la mèche qui tombe sur ton front, glissant tes doigts dans tes cheveux. c'est comme ça. c'est tout. tu tournes finalement la tête, jetant un coup d’œil à ton portable, avant de poser ce dernier sur la petite table, t'adossant dans la chaise sur laquelle t'es assis.