ronan et lorenzo
don't tell me, tell my ghost
cause i blame him
for all i don't want to know
(alias / in flames)
Les échos douloureux alors que la clameur gronde.
Éclats des voix qui résonnent entre les murs du stade. Claquement des pieds contre les tribunes.
Les prières sur les lèvres. La croix dessinée des doigts sur le buste. Sur le front. Sur le sternum. De chaque côté des épaules. Ultime apposition des phalanges sur les lippes avant de les faire monter au ciel. Tradition qui remonte aux préceptes enseignés sur les bancs de l’église, les dimanches matin. Geste devenu un automatisme depuis les toutes premières foulées sur les terrains. Geste qui détonne, depuis que t’as chuté dans les flammes. Dans
ses flammes. Le Tout Puissant que tu as déshonoré de tes coups de reins contre son palais. De tes coups de trique contre sa paume. Les portes de l’enfer qui se sont ouvertes en grand au milieu de cette ruelle. Jugement du Seigneur quand t’es venu te foutre sur lui comme une pute en manque du contact lascif. L’aberration retranscrite dans la Bible. Ce même livre sacré duquel tu sors tes prières d’avant match.
T’as vraiment aucune honte, Lorenzo. D’où tu te permets de prononcer encore ces mots ? Ta gorge devrait se serrer, ta gorge devrait te brûler. Ta gorge devrait être punie d’avoir accueilli la chair d’un autre. T’es le pire des ingrats. C’est comme si tu crachais sur la croix. Comme si tu crachais à la gueule de Dieu lui-même.Le regard balancé vers le coéquipier le plus proche. Les encouragements collés aux rétines. Les crampons qui traînent contre le gazon. Mains apposées de part et d’autre des hanches. L’attente du coup de sifflet. Boucan infernal des silhouettes entassées dans les gradins. Et c'est toujours cette même sensation à chaque fois. Toujours ces mêmes cognements qui résonnent dans la poitrine à la mesure de la clameur. Un de ces côtés à double tranchant dans le rêve de gosse devenu réalité. L'adoration qu’on peut scander autant que la haine qu’on dégueule. Les moindres mouvements jugés par quelques milliers de personnes. Les réactions comme des automatismes qui ne se contrôlent pas. La foule qui s’entraîne d’elle-même. Il suffit d’une voix plus portante que les autres pour embrigader le reste dans ses chants. Il suffit d’une gueule un peu trop ouverte pour précipiter toutes les autres. L’opinion qui défère. L’opinion qui peut détruire. Échos à la haine déversée sur la terre natale, quand le jeu ne correspond pas aux attentes. Réminiscences douloureuses des pires affronts entendus depuis les tribunes. Sifflement de l’arbitre pour mettre un terme à toutes ces pensées néfastes qui reviennent à chaque début de match. Gamin traumatisé par les offenses entendues trop jeune.
L’esprit se concentre uniquement sur le jeu, à cet instant. L’oubli parfait de toutes les autres mésaventures. Seul instant où la tête se vide complètement pour ne laisser place qu’à la passion qui anime depuis l’enfance. Exaltation du souffle. Poumons qui se gonflent sous l’effort. Les mètres avalés par les jambes. La voix qui porte pour capter l’attention des autres quand la balle se trouve entre tes pieds. Les gestes quand l’arbitre tourne le dos. Les insultes sur le bord des lèvres, murmurées dans la langue natale quand le jeu ne va pas dans ton sens.
Et c’est le cas aujourd’hui. Défense amoindrie. Attaque faiblarde. Deux buts encaissés sous la déception des supporters. Le ballon dans les filets adverses à une seule reprise. Ton assistance pour réussir à sauver l’honneur avant le coup de sifflet final. Sphère envoyée juste devant l’attaquant. Son impulsion pour terminer le geste. La défaite qui vient s’ancrer dans le classement. Descente d’une place dans le tableau.
Encore. Fatigue physique suite au jeu. Fatigue mentale des échecs à répétition. Parce que tu vaux tellement plus que ça, Lorenzo. Plus que le bas de l’échelle. Plus qu’un club qui frôle la relégation à chaque fin de saison. Rage encore trop vivace malgré les mois écroulés derrière toi. Connard béni par trop d’importance qui a mis en pause ta carrière sans un regard en arrière. Homme blessé dans sa fierté. Ça te fait doucement rire, ce genre de connerie. C’est toi qu’on blâme, quand c’est l’épouse qui a cherché la tentation. Les rôles inversés seulement quand ça les arrange.
Les paumes qui tapent l’une dans l’autre. Applaudissement d’un jeu pourtant médiocre. Quelques claquements dans les mains des adversaires. Des poignées de main pour étaler le respect malgré la défaite. Puis c’est ta carcasse que tu traînes jusqu’au abord des tribunes. Vers la masse agglutinée à la limite du terrain. L’habitude des fins de matchs, la recherche de la rencontre du côté des fans. De la reconnaissance, du tien.
Même si on a perdu. Même si on aurait pu faire plus. Même si j’étais pas au top de mon niveau. Même si on devait faire plus pour arriver à la hauteur des encouragements que vous nous lancez. Des sourires, des salutations balancés quand t’arrives à la hauteur du groupe. T’es pas seul, Lorenzo. Quelques coéquipiers qui t’accompagnent vers le bain de foule. Toujours la même chose. Des marqueurs tendus pour signer les maillots. Les poignées de main. Les photos faites à l’envolée.
Toujours pareil. Sauf cette petite tête blonde qui dépasse à peine de la rambarde. Et putain, ça te fait sourire. Le gamin reconnu dans la seconde. La silhouette qui se traîne en face de lui, ignorant soudainement le reste. La dominante tendue vers lui dans l’attente d’une salutation.
« What’s up Cian ? » Il a déjà les yeux brillants, le gamin. Les traits élargis d’un sourire. Bonheur éclatant sur sa trogne. Ce genre de réactions qui valent tellement plus que les zéros qui s’alignent sur les bulletins de salaire. Sa paume qu’il claque de la tienne. Poing contre poing. Contact de quelques secondes à peine qui occupera des heures de conversations. Les doigts qui se perdent entre les mèches. L’ébouriffement du blond, alors que l’onyx cherche.
Est-ce que t’es là ? Est-ce que t’as emmené ton gamin, ou bien est-ce que c’est le visage de ta reine que j’vais devoir subir ? Bien sûr que non, t’es pas là. T’aimes pas ça. Tu craches sur ma profession comme j’ai craché sur nous. Mais c’est de bonne guerre, tout ça. Ça s’est terminé sous le pixel. Ça s’est terminé pour une connerie. Ça s’est terminé et ça m’a tué. Le rictus aux commissures de tes lèvres. La recherche que t’abandonnes. Il n’est pas là, Ronan. Pourquoi est-ce qu’il viendrait ? Qu’est-ce qu’il ferait sur ton territoire alors que les faits ont été clairement exposés ? Les prunelles retrouvent le mioche. Et les siennes qui luisent toujours autant d’émerveillement.
« I’m so sad you lost. But your assist was amazing ! » Le haussement des épaules. La mine qui fait genre que tout va bien, alors que la défaite résonne encore dans ton crâne. Le rôle devant le mioche. Paraître moins atteint qu’en réalité. Ne pas briser les rêves du gamin. Lui faire croire qu’il n’y a que les bons côtés. Pas de revers de la médaille.
« We’ll do better next time, promise. » Dernière accroche entre les cheveux, puis l’écart. Les phalanges qui s’accrochent au col du maillot. Tissu aux couleurs du club retiré la seconde suivante. La fraîcheur de la météo pour contrer avec le corps chauffé par l’effort. Souvenir du jour tendu vers lui.
« Here, for you kiddo. » Le gamin hésite. Le gamin qui ose pas tendre le bras pour attraper son butin. Faut que t’insistes, Lorenzo. Le geste poussé vers lui. Le sourire immaculé sur la gueule. La main minimisée par rapport à la tienne. Le rictus du petit qui remonte jusqu’aux oreilles quand il s’empare enfin de l’uniforme.
« Thank you so much Lorenzo ! Wow they’re going to be crazy at school now that I have two of your jerseys ! » Des regards vers le gamin. Vers le maillot qu’il tient entre ses mains. Le tien qui se relève. Le tien soudainement prisonnier. Et le sourire qui s’efface.
Sa gueule qui détonne au milieu de toutes les autres. Sa beauté brute pour claquer contre ton crâne. Les battements du cœur incertains.
Mais putain, t’étais pas censé être là, Ronan. T’étais pas censé réapparaître dans ma vie depuis ton départ. Depuis l’ultime accroche sur le tactile. Pourquoi est-ce que tu reviens me hanter ? Pourquoi est-ce que t’es là alors que j’arrive même pas à oublier ton odeur ? Et t'es tellement beau, putain. Tellement que j'en perds le souffle. Le mouvement de recul. Deux pas en arrière en voyant la carrure de l’autre s’imposer à côté de celle du gamin. Tu déglutis, Lorenzo. Mâchoire soudainement serrée. Impossible de sourire, même quand d’autres encore s’agglutinent autour de tes coéquipiers et toi. Leurs silhouettes derrière lesquelles tu te dissimules. Ta stature que tu maudis sur l’instant. La fuite pour survivre. Les talons qui se tournent. La dominante qui glisse le long des lèvres.
Les tiennes y sont trop absentes, Ronan. J’suis tellement en manque de toi. En manque de nous. J’crève sans toi. J’arrive plus à respirer. J’arrive plus à dormir. J’arrive plus à vivre. Pas un regard pour les autres. Foule oubliée à partir du moment où il s’y est mêlé.
T’es rendu au milieu du terrain quand t’oses te retourner. Que tu cherches son regard une dernière fois. L’au revoir jamais prononcé à voix haute. Dominante installée dans la nuque. Contact rassurant quand le sien manque. Les prunelles de l’autre captées. Faites prisonnières comme les tiennes. Le geste de la gueule. L’invitation. Visage balancé vers la sortie du stade. Et cette fois, tu t’échappes réellement. Cœur en berne. Cœur plein d’espoir.
Dis-moi que tu seras là. Dis-moi que j’vais pas t’attendre pour rien. Dis-moi que j’me fais pas des idées. Je t’en supplie, Ronan. S’il te plaît, m’abandonne pas. Pas aujourd’hui. Pas maintenant. Ta silhouette qui s’évanouit entre les murs.
(…) De trop longues minutes passées devant le miroir. La buée dégagée de la main. La gueule du coéquipier derrière toi. La salutation.
« See you on Monday. » Carcasse esseulée au milieu des vestiaires. La serviette balancée sur le banc avant que tes doigts ne s’emparent des vêtements. Couches noires pour recouvrir l’épiderme. La casquette conjuguée à la capuche pour masquer la gueule éreintée. Le sac balancé au-dessus de l’épaule. Dernière âme à s’évader des lieux.
Le soupir qui s’échappe des lèvres quand tu vois le parking vide.
Tu croyais quoi ? T’es tellement con. Tellement stupide. Il s’est barré, le Costigan. Parti retrouvé sa femme. T’as vraiment cru à tout ce qui s’est dit en sms ? Le crachat sur le sol. Les jambes qui s’activent. La démarche lasse vers la moto, le casque à la main. Les espoirs anéantis sur le bitume. Fatigue trop violente dans le crâne. Dans la poitrine. Jusque dans les membres. Les doigts pincent l’arête du nez. Les yeux fermés l’espace d’un instant. La tentative vaine de chasser de toutes ces conneries de ta tête.
Bruit du moteur pour te sortir de la torpeur. La caboche qui se tourne vers la bagnole qui s’approche. Carrosserie sortie des films de gangsters. Go-fast qui s’impose au milieu du parking. La lassitude sur tes traits.
Sérieusement ? Des trafics ici ? La dominante contre la casquette, prête à l’enlever. La vitre qui s’ouvre. La fumée qui s’en échappe. Silhouette familière apparaissant derrière le teinté qui descend.
« Cazzo. » La gueule de Ronan au milieu du paysage. La clope qu’il balance sur le sol. Ton regard qu’il capture.
Tu réfléchis même pas, Lorenzo. Allure rapide jusqu’à la voiture. Tu la détournes avant d’ouvrir la porte du côté passager. Te glisse à la place sans un mot. Capuche balancée en arrière. Casquette retirée. Les phalanges pour remettre en ordre les boucles aplaties. Le cuir sur lequel tu t’installes comme un petit empereur. Prunelles sombres tournées vers la carrure de l’autre. Prunelles qui posent les questions alors que les lèvres restent closes.
Alors t’es revenu, du coup ? T’es revenu m’assassiner ? T’es revenu pour m’insulter comme moi je l’ai fait ? T’es revenu pour mettre les choses au clair, une bonne fois pour toute, avant la fin ? Et quand bien même, ça se passe comment ? Une poignée de main et puis on se dira au revoir ?Pas foutu de parler. Pas foutu de détourner le regard. Pas foutu de partir.
Pas quand il est là.