EDGAR & TEVAN

Soldier keep on marching on, Head down
till the work is done Waiting on that morning sun,
Soldier keep on marching on
(soldier \ fleurie)

La fumée venait d'envahir ses poumons avec arrogance. Il tirait sur cette cancéreuse sans la moindre hésitation, portant ensuite son verre de bourbon à sa bouche. Le liquide fit un bien fou à sa gorge. D'un geste mesuré et contrôlé, Tevan délivra son cou en desserrant sa cravate. Bien qu'il adorait les costumes trois pièces, il avait une sainte horreur de cette petite chose pendue à son cou, comme une médaille. Il avait la sensation d'étouffer surtout en fin de soirée. La soirée battait son plein à l'intérieur du bâtiment et Swarek avait décidé de s'octroyer une pause bien méritée. Il avait serré des mains toute la soirée, avec sourire largement -sans vraiment le penser- et avait fini par un discours. Bref certes, mais le contenu était là. Qu'importe. Ce n'était pas ça le plus important. Non, le truc qui avait fait que Tevan avait accepté ce gala, c'était uniquement qu'il était en faveur de la police. Et Tevan mettait un point d'honneur à en remercier certains en personne, voir même trouver de nouvelles recrues à son trafic florissant. L'argent dégueulait de ses poches tandis que le mystère régnait sur sa personne. Énigmatique, secret et pourtant personnage public, Tevan inspirait un bon nombre de chose hormis sans doute la sympathie. Mais qu'importe. Il se fichait pas mal de ce qu'on pensait de lui.
C'est au moment de rallumer sa deuxième cancéreuse que son briquet le lâcha. Et merde. Le remettant dans le fond de sa poche, il releva le regard en face de lui, cherchant une âme charitable pouvant allumer ce qui mettrait sans doute fin à ses jours d'ici quelques années. Une seule ombre comblait le vide établi par la nuit et l'absence de toutes âmes dehors. Les gens semblaient plus occuper à bavarder de tout et de rien, sirotant avec déchaînement le champagne qui coulait à flot. Sauf lui et cet homme accoudé à la balustrade des lieux. Il fit quelques pas, toujours son verre à la main et la clope entre les lèvres. Vous n'auriez pas du feu ? Espérant pour lui qu'il en avait, sinon, il devrait retourner à l'intérieur ou quand bien même, se faire à l'idée qu'il ne fumerait pas tout de suite. Cette salle grouillait de flics, il était évidant que le visage face à lui faisait partit du même bateau. Peut être l'occasion de recruter de nouvelles âmes dans sa petite magouille. Mais il était difficile d'arriver à ce sujet là, sans éveiller les soupçons et même, sans se mouiller de trop par la même occasion. Tevan était de nature plutôt discrète. Il ne mettait jamais en péril sa carrière et sa condition pour des conneries. Mais il devait bien avouer, quand ce moment, un peu plus de poulets de son côté ne serait pas de refus. Il tendit alors la main vers l'homme qui venait de se tourner vers lui. Tevan Swarek. Politesse et courtoisie sont de mises dans ce genre de soirée, il va de soit que même lui se pliait à la règle. Mais bon, il devait déjà savoir comment il s'appelait. Tevan n'était pas une personne inconnue du grand public.

Edgar n’a jamais aimé participer aux galas organisés par la ville, quelle que soit la cause qu’il défend. À Londres comme à Brighton, il les a évité et les évite toujours scrupuleusement. Les sourires aux fossettes mensongères et les remerciements aussi creux que les bouteilles de champagne en fin de soirée ne l’intéressent pas. À Londres, il ne s’y est rendu à une soirée de ce type qu’une fois – le Chef l’a obligé. Ce n’était pas par sympathie ni pour le congratuler sur son excellent travail. Ce n’était qu’une excuse pour qu’il exhibe son épouse indienne aux yeux du public et prouve que les flics londoniens ne sont pas si racistes que ça.
Aujourd’hui, Ada n’est plus là. Ça ne remonte qu’à quelques mois. Le cancer fulgurant qui l’a emporté ne lui a pas laissé le temps de faire le deuil d’une vie conjugale déjà appauvrie par les ans. Il n’a rien vu venir, trop obnubilé qu’il était par ses affaires et ses enquêtes. Edgar soupire en s’appuyant à la balustrade du balcon jouxtant la salle du gala. À Brighton, ça a le mérite d’être intimiste. Il n’y a que les flics du coin et quelques figures emblématiques de la ville en plus de leurs épouses et époux. Il ne s’est pas mêlé aux autres, Edgar. Pas plus que nécessaire. Il a serré les bonnes mains, à saluer les bonnes personnes et s’est isolé en compagnie d’une clope et d’un verre de whisky, ses meilleurs amis depuis des mois – depuis sa perte. Il soupire avant de finir son verre et de le poser en équilibre précaire sur le rebord du balcon. On ne l’ennuie pas, ici. La soirée est suffisamment avancée et les esprits suffisamment échauffés par le champagne et les petites douceurs qui traînent pour qu’on l’oublie. Il s’est débarrassé de sa cravate depuis longtemps et l’a fourré au fond de la poche de son pantalon. Edgar, il n’a jamais aimé les smokings. Ils sont toujours trop serrés et mal ajustés. Économiser pour s’en payer un sur-mesure n’a pas d’intérêt ; ces merdes coûtent trop chers pour ce qu’elles sont, des bouts de tissus. C’est une voix masculine qui éclate sa bulle de tranquillité avec une question. Il se retourne, un sourcil arqué.
Du feu ? Edgar coince sa cigarette entre ses lèvres pour extirper son briquet de sa poche et le lui tendre machinalement. Il s’efforce d’être poli, Edgar. Lorsqu’il se présente, il lui serre la main avec juste ce qu’il faut de force pour s’imposer. « Edgar Smith, enchanté. » Répond-il avant de récupérer son briquet et de lui tourner le dos à nouveau. Il repose ses coudes sur la balustrade, laissant le bout incandescent de sa cigarette poindre dans l’obscurité tamisée de la nuit. « Vous êtes le député du coin, c’est ça ? J’ai entendu dire que vous comptiez faire pression auprès du Maire pour qu’il rénove le commissariat. » Lance-t-il dans un roulement d’épaules plus pour remplir le silence qu’autre chose. « C’est une perte de temps. Les locaux sont trop récents, de toute façon. »

EDGAR & TEVAN

Soldier keep on marching on, Head down
till the work is done Waiting on that morning sun,
Soldier keep on marching on
(soldier \ fleurie)

Il s'amusait nerveusement avec la bague qui entourait son doigt. Un nouveau poids sur ses épaules alors qu'il s'était promit de ne plus jamais être la chose de quelqu'un. Ne plus être son chaos non plus. Tevan n'était pas le mari idéal, loin de là. Il avait tous les aspects du parfait connard de service. Mais sa nouvelle femme ne faisait pas partit des bonnes dames du coin. Gigi. Sa Gigi. Elle avait su briser la noirceur de plusieurs nuits et il avait cédé à la tentation de faire d'elle, la deuxième Madame Swarek. Il n'était pas dupe le député. Loin de là. Il connaissait ses envies et ce qu'elle attendait de lui. L'argent. La banalité du monde. Ces petits billets qui faisaient tourner des têtes, bien plus qu'un brin de luxure et une bonne bouteille de champagne. Elle n'était qu'avec lui que pour ce qu'il représentait et ce qu'il faisait d'elle lorsqu'il lui tenait la main en public. La femme de. Est-ce suffisant ? Pour tout dire, Swarek ne savait pas vraiment où cette relation le mènerait. Mais pour le moment, il se complaisait dans l'idée que quelqu'un l'attendait sagement à la maison. Il ne savait pas vivre seul et n'en éprouvait pas l'envie non plus. La solitude était pourtant, sa meilleure amie au quotidien. Pas bavard pour un sous, Tevan n'aimait pas les gens en général. Ou seulement par intérêt. Ce soir en était la preuve formelle. Il s'amusait à sourire faussement, à serrer des mains dans l'espoir que son nom soit encore plus approuver qu'il n'arrivait à se voir dans le miroir. Une ambition démesurée, un fierté à assouvir.
La flamme vint allumer la seule salut de sa soirée. La fumée avait envahi ses poumons, dans une grande inspiration tandis qu'il saluait la tête masculine face à lui. Il était imposant. Peut être autant que lui. Pas physiquement, mais charismatique ment. Tevan n'avait pas envie de parler pour autant. Il se complaisait dans ce silence certain jusqu'à ce qu'Edgar ne vienne le briser, quelques secondes plus tard. Un soulagement autant qu'une contrainte. Il ne savait pas trop sur quel pied dansait à dire vrai. Sa réflexion le fit sourire, il en lâcha presque un rire forcé mais sincère. Il semblait au courant de bien des choses, si bien qu'il en piquerait presque sa curiosité maladive. En effet. Nouvelle inspiration, et il cracha sa fumée sur le côté. Tevan se mit à la fixer, posant une de ses mains sur la balustrade. Il y a de l'argent à investir pour la police. J'ai pensé que ce serait une bonne idée. Mais si vous avez des suggestions plus intéressantes, je vous écoute. Au fil des années, s'il y avait bien une chose que Tevan avait apprit avec le temps, c'est qu'il fallait se montrer toujours d'accord avec les gens, dans un premier temps. Et puis, le piège finit par se refermer tout seul. Les amadoués. Ce n'est pas moi qui porte l'uniforme. Toutes idées est bonnes à prendre. Ou pas. La réalité était que Tevan n'en avait vraiment rien à foutre. Mais le Maire avait plus dans l'idée d'utilisé ce fric pour ses biens faits personnels. Et ça, tout le monde le savait. Et comme Tevan ne fait rien comme tout le monde, il avait bien l'intention de prouver au peuple de Brighton qu'il valait mieux que ce truand.

Les rumeurs qui traînent dans les bureaux se certifient et c’est un sourire qui s’arrache aux lèvres du flic. Que ce soit ici ou à Londres, les politiciens sont tous les mêmes – ils cherchent à brosser les flics dans le sens du poil pour s’assurer des votes. Et leur soutien, par la même occasion. Parfois, c’est des galas – comme aujourd’hui. D’autres fois, c’est des propositions pour améliorer leurs conditions de travail – comme aujourd’hui. Le député Swarek n’est pas si différent des autres membres de son espèce. En un sens, les flics leurs ressemblent aussi ; on les range dans le même panier sans faire de distinction. On les hait parce qu’ils représentent ce que le peuple ne sera jamais : l’autorité. C’est entre leurs mains que réside le pouvoir. Les politiciens proposent des lois que les flics appliquent. Pas de distinction, entre eux – ils sont intrinsèquement liés. On leur crache dessus avec la même intensité.
Edgar ne se fait pas d’illusions : Swarek, il veut qu’il le voit comme un chic type. Il veut prouver au flic qu’il souhaite améliorer le sort de la ville au lieu de le pourrir. Edgar, il avale une bouffée salvatrice de sa cigarette avant d’en crachoter la fumée âcre. Des suggestions, il en a des tas. Elles ne seront jamais appliquées, cela dit – c’est l’inverse qui s’est produit. Les flics, on les a dépouillé de leurs armes à feu et ils n’imposent plus autant qu’avant. Les interrogatoires des flics ne sont plus que verbaux, à défaut d’être musclés ; on ne cogne plus les criminels, maintenant. Edgar s’appuie sur le rebord de la balustrade pour se tourner vers le député. « Augmentez nos salaires. » Lance-t-il sans se départir de son sourire moqueur. Edgar, il se fout de sa gueule. En déposant la plaque d’enquêteur sur son bureau, c’est un salaire plus que généreux qu’il a accepté – un peu plus de quatre mille cinq cents livres par mois. Il s’en sort mieux que ceux qui portent toujours l’uniforme hideux de la police mais en contrepartie, c’est la charge de travail qui grossit. Il esquisse un geste vers son verre mais ses lèvres se pincent lorsqu’il remarque qu’il est vide. L’alcool lui manque déjà malgré lui. Edgar, il recherche sa brûlure aiguë au fond de l’estomac. « Mais j’imagine que vous préférez gonfler les vôtres. » Ajoute-t-il plus pour lui-même que le député. Des requins, tous.
Il est amer, Edgar. C’est peut-être l’alcool et la fatigue. C’est surtout qu’il s’en fout de tout depuis qu’elle l’a quitté – il n’a plus personne à impressionner. Edgar, il se tourne pour s’adosser contre la balustrade. C’est en conservant la fumée de sa clope au fond de sa gorge qu’il poursuit. « Donnez-moi une bonne raison de croire que vous n’êtes pas comme les autres et peut-être que je vous prendrais au sérieux, Swarek. »