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Make a wish on our sorry little hearts, have a smoke, pour a drink, steal a kiss in the dark. Fingernails on my skin like the teeth of a shark, I'm intoxicated by the lie.

Une vague de froid vient mordre leurs joues tandis qu'ils quittent le salon de thé. Bien élevé, il tient la porte pour que la demoiselle puisse passer devant lui, la rejoignant aussitôt. Les journées sont courtes, le soleil s’échappe vite et un air de fête flotte déjà dans les rues commerçantes. Çà et là, des vitrines sont même décorées, s’habillant pour Noël alors que novembre n’est même pas terminé. Cependant, derrière la vitre qui les sépare de l’établissement huppé, il n’y a pas neige artificiel ou de faux cadeaux, juste sa mère et ses sœurs, qui prennent une dernière boisson chaude avant de retourner à Royal Tunbridge Wells, là où elles habitent avec le patriarche, lui qui était trop occupé pour venir aujourd’hui. Il se sent observé, force un sourire maladroit et un léger hochement de tête en direction de sa famille et hésitant un peu, il va attraper les doigts d’Abigail, entrelaçant leurs phalanges.

Il est mal à l’aise depuis quelques heures – depuis quelques semaines, d’ailleurs – inquiet, sur le qui-vive, guettant une possible trahison, une bourde, un regard critique se posant sur lui. La jeune fille a passé l’après-midi avec sa mère et ses sœurs, seule, livrée en pâture à leurs questions, à cette curiosité maladive qui les habite depuis qu’Abigail est dans le tableau. Il faut dire qu’il y a de quoi être intriguée par une inconnue retrouvée dans le lit de l’ainé de la famille, alors elles l’ont embarqué pour apprendre à la connaître, bannissant Bennie jusqu’à la dernière heure et passant la majeure partie de ce samedi après-midi qui s’étiole à présent en tête à tête avec elle. Lui, pendant ce temps, il a rongé son frein, les rejoignant avec les dents serrés et attendant avec impatience d’être libéré.

Bennie soupire à présent, tournant son sourire gêné vers elle. Il ne sait pas sur quel pied danser quand elle est là, ne sait pas comment l’appréhender. Il n’a pas la moindre idée de pourquoi elle a accepté de mentir pour lui, surtout quand de nombreuses issues se sont déjà présentées. La manigance continue, le mensonge ne s’arrête pas. Il se demande si elle attend le bon moment pour le jeter aux fauves, ou si la supercherie l’amuse simplement. Il ne sait pas, pas quand ils passent des heures à se chamailler, à ne pas s’apprécier tant que ça.

Pourtant, là, présentement, avec sa main coincée dans la sienne, à ses côtés, elle ne lui donne pas envie de débattre ou de lever les yeux au ciel. Il se gifle mentalement, conscient de la mascarade dans laquelle ils sont tous les deux des acteurs. Il n’y a rien de vrai là-dedans, il se le répète en boucle, rien en dehors d’une nuit partagée après une soirée éméchée, rien de concret, rien de réel. « I don’t know about you but I need a drink… » souffle—t-il, un certain soulagement pointant le bout de son nez. Invitation déguisée à aller se poser dans un pub pour partager une bière sans avoir à surveiller le moindre de ses gestes, le temps de creuser un peu pour savoir comment s’est passée l’après-midi, aussi, l'air de rien, pour apaiser son inquiétude et sa culpabilité. « wait, it’s bloody cold out here » ajoute—t-il, lâchant momentanément ses doigts pour aller retirer son écharpe, la lui déposant autour de la nuque, garçon galant et pas juste parce qu’il est sous l’œil de maman. « Shall we ? » et à nouveau il offre sa paume, maintenant prêt à déguerpir avant que les trois commères à l’intérieur ne décident de les inviter à dîner.

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bennie & abigail

La porte du salon de thé se referme derrière eux, tel le rideau à la fin d'une pièce de théâtre et Abigail ne peut s'empêcher de penser que ça doit être comme ça que les acteurs se sentent, à la fin d'une performance. Elle se surprend à aimer autant l'adrénaline que procure le fait de jouer un rôle. Peut-être aurait-elle dû faire des cours de théâtre, plus jeune, elle aurait assuré. C'est épuisant par contre. Après tout un après-midi à jouer à la petite amie idéale devant la mère et les soeurs de Bennie, elle se sent vidée. Heureusement, tout s'est déroulé à merveille. Comme lors de toutes leurs rencontres précédentes, Abi a fait très bonne impression auprès de la famille Tennyson. Il faut dire qu'avec les années, elle a acquis de l'expérience pour jouer les bonnes filles sages. Autant à une certaine époque ça l'agaçait, autant elle a fini par voir ça comme un jeu et prendre un certain plaisir à faire semblant devant toutes ces personnes que son père la forçait à rencontrer, sachant très bien qu'en réalité, elle était loin d'être la fille parfaite qu'ils croyaient avoir devant leurs yeux.

« I don’t know about you but I need a drink… » Cette proposition sonne comme une douce musique aux oreilles d'Abi. « I thought you'd never ask » répond-elle en penchant la tête et le regardant avec de grands yeux, comme s'il venait de lui faire la proposition la plus romantique au monde. Elle s'apprête à accélérer le pas, la simple idée d'un verre lui ayant redonné un léger boost d'énergie, lorsque Bennie l'arrête pour lui prêter son écharpe. Pendant un instant, elle est surprise de ce geste qui semble si galant alors qu'ils sont seulement tous les deux désormais. Elle se retourne subtilement pour voir derrière elle et réalise qu'ils sont toujours dans le champ de vision de sa mère. Ça explique tout. «A real gentlemen! Thanks. » Abi n'apprécie habituellement pas ce genre de gestes de la part des hommes, ne voulant pas être traitée comme une gamine, mais elle se doit d'avouer que cette fois, il était plutôt le bienvenue, le froid commençant à se faire sentir. Elle glisse à nouveau sa main dans celle de Bennie, à la fois pour les apparences, mais aussi pour profiter un peu de sa chaleur. 

Elle se laisse guider, curieuse de voir où il va l'emmener. Elle a généralement plus l'habitude des boîtes de nuit que des pubs, elle se fie donc à son jugement pour leur trouver un endroit approprié. Au grand bonheur d'Abi (et plus particulièrement de ses pieds qui commencent à perdre toute sensation), Bennie finit par s'arrêter devant un établissement et l'entraîne à l'intérieur. L'ambiance est agréable, tranquille, tout à fait ce dont Abi a besoin en ce moment. Ils s'installent à une table au fond de l'établissement et l'éclairage tamisé contribue encore plus à les faire se sentir complètement seuls, ce qui est plutôt étrange après avoir passé tout ce temps à être observés dans les moindres détails et à faire semblant d'être amoureux. Le retour à la réalité est plutôt déstabilisant, Abi ne sait plus trop comment agir maintenant en présence de Bennie et elle sent que lui non plus n'est pas trop à l'aise. Elle décide de briser la glace avant que le silence ne devienne inconfortable  « So, your mom seemed pretty excited for Christmas. Are we still gonna be together then? » Elle plonge son regard dans le sien, un petit sourire en coin. Elle est curieuse de voir ce qu'il va lui répondre.

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Elle ne met pas longtemps à se saisir des doigts qu’il lui présente et bien vite, ils se retrouvent à déambuler dans les ruelles colorées, entre les gens qui se pressent de sortir du boulot et ceux qui prennent le temps de faire des emplettes. La vitrine du salon de thé est loin, le regard perçant de sa mère aussi et pourtant, il ne lâche pas prise, ne lâche pas sa main, même si les faux-semblants sont de moins en moins nécessaire, à chaque pas qui les éloigne un peu plus de la famille Tennyson. Bennie se dit que c’est uniquement pour éviter de la perdre dans la foule de badauds, ces gens qui avancent sans trop regarder où ils vont, les yeux rivés sur un écran la plupart du temps. Il se trouve une excuse, une justification, de quoi argumenter de la nécessité du contact, pourtant une petite voix au fond de son crâne se demande si c’est un crime de simplement apprécier la chaleur qui émane de cette promiscuité, ou encore la pression de sa main dans la sienne. Il préfère ne pas y penser, parce que ça n’a pas de sens, pas lieu d’être, tout ça ce n’est que de la poudre aux yeux et il ferait bien de s’en souvenir.

Il l’entraine jusqu’à un bar, ne laissant filer l’ancrage que lorsque son manteau devient de trop dans cette ambiance douillette. C’est un pub parmi tant d’autres, un pub à l’ancienne avec du cuir et du bois sombre partout, de la folk en fond sonore, le genre d’endroit où il fait bon se réchauffer, discuter, se poser. Bien vite ils sont installés, loin de tout, loin de la rue, loin du comptoir, loin de quelques autres clients qui se trouvent là, si bien que Bennie a l’impression qu’il est en tête à tête avec elle. Pas sûr que ça soit l’idée du siècle, pas quand il ne sait pas où se mettre lorsqu’elle le regarde, perdu entre une envie de déguerpir et un besoin maladif de chercher la petite bête. Il n’est pas comme ça, d’ordinaire, mais elle a le don de le provoquer sans même essayer. Ne dérogeant pas à la règle d’ailleurs, elle demande :  « So, your mom seemed pretty excited for Christmas. Are we still gonna be together then? » et Bennie se sent devenir livide, l’espace d’une seconde, écarquillant les yeux et remerciant qui de droit de ne pas avoir été en train de boire. Soudain, le remontant n’est plus souhaité, il semble tout bonnement nécessaire et le jeune homme lève le bras pour faire un petit signe à la barmaid, qui hoche la tête pour signifier qu’elle arrive. A défaut d’avoir de quoi se donner un peu de contenance, il se racle la gorge, dardant sur elle un regard un peu orageux, peut-être aussi un peu amusé. Ca la fait sourire, tout ça. Lui pourrait faire un malaise, tant les mensonges le rendent nerveux mais elle, ça ne fait que la divertir. Presque taquin, il rétorque doucement « You’re evil, you know that ? » en soupirant, avant d’ajouter. « Dunno, are you planning on dumping me anytime soon ? » blague amère, elle ne peut pas le plaquer, ils ne sont pas ensemble, « I mean, before you get dragged to mass with us ? You might want to hold on though, they’ll love an excuse to do some extra shopping and spoil you rotten » Il imagine déjà sa mère et ses sœurs en train de débattre pour savoir quoi lui offrir, le cuisiner pendant des heures pour avoir quelques indices supplémentaires sur ses goûts, ses centres d’intérêts… Sa gorge se serre un peu, il n’en aurait pas la moindre idée, s’il devait répondre. Au fond, ils ne sont que deux étrangers, dans une drôle d’histoire.

La barmaid s’approche alors que le visage de Bennie menace de s’assombrir. Il fixe Abigail, rêvant de savoir sur quel pied danser et dans ses contemplations, il n’entend même pas la jeune employée demander ce qu’ils veulent boire.

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Les événements se sont enchaînés si rapidement au fil des dernières semaines qu’Abi commence à avoir un peu du mal à définir la nature de sa relation avec Bennie. Avant, il n’était que ce garçon qu’elle ne supportait pas trop dans ses cours et avec qui elle finissait toujours par s’engueuler. Puis sans trop savoir comment ni pourquoi, ils ont fini par se retrouver dans le même lit, l’espace d’une soirée. L’alcool a probablement joué un grand rôle dans leur rapprochement, mais Abi se dit que c’était peut-être aussi pour faire retomber la tension de leurs nombreuses disputes. Dans tous les cas, ce n’était pas supposé aller plus loin que ça. Dès qu’elle avait franchi la porte de l’appartement de Bennie, Abi s’était convaincue qu’elle repartirait chez elle une fois qu’ils auraient terminés. Mais finalement, elle s’était blottie contre lui quelques instants avant de se lever et lorsqu’il avait serré un peu plus fort ses bras autour d’elle, elle s’était convaincue de rester un peu plus longtemps pour profiter de cet instant de trêve entre eux. Elle n’aurait qu’à repartir aux petites heures du matin, ça ne ferait aucune différence… Maintenant, elle passe ses samedis après-midi à prendre le thé avec sa mère et ses sœurs, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

La réflexion d’Abi, à mi-chemin entre une blague et une vraie question, a l’effet auquel elle s'attendait sur Bennie. Elle ne sait pas trop s’il ne fait que jouer le jeu lui aussi ou s’il est réellement exaspéré par toute cette histoire et inquiet à l'idée qu'elle décide encore de prolonger la torture. C'est vrai que c'est elle au départ qui a voulu poursuivre encore un peu, car ça l'amusait. « I'd be happy to play the perfect little girlfriend in front of your grandma too. » Elle sait bien pourtant qu'elle n'a rien à faire au réveillon des Tennyson, mais une partie d'elle a envie d'y être, de voir comment ça se passe chez eux. Peut-être qu'elle commence à bien les apprécier, au fond, les parents et les soeurs de Bennie. Ils sont tous si adorables avec elle. Si adorables, alors qu'elle ne fait que leur mentir depuis le tout début. « Well, I was thinking… » Elle marque une pause, question de laisser monter un peu le suspens. « My parents would love to see me bring a boyfriend for Christmas, for once. » Elle ne sait pas pourquoi, cette idée vient de lui apparaître soudainement. Elle n’y avait pas réfléchi avant, mais maintenant qu’elle l’a dit à voix haute, ça lui paraît une excellente idée. Pas seulement pour s’amuser à torturer encore plus Bennie, mais parce qu’effectivement, sa famille l’embête sans arrêt avec le fait qu’elle n’a encore jamais eu de copain sérieux et qu’elle n’a pas envie de subir ce discours une nouvelle fois pour les fêtes.  Elle a accepté d’embarquer dans le jeu de Bennie alors qu’elle aurait très bien pu l’envoyer promener dès le début. Il faut bien que ça puisse lui servir à elle aussi, au moins une fois. Elle sait qu'il va probablement péter les plombs en entendant sa proposition. « I'm serious. » ajoute-t-elle, avant qu'il ne pense qu'elle essaie seulement de le provoquer encore une fois.

Au même moment, la barmaid arrive à leur table pour prendre leur commande. Abi apprécie ce petit moment de répit, sachant très bien que lorsqu'elle aura quitté, la situation risque de s'envenimer. Elle prend son temps pour consulter le menu, interroge la serveuse sur les différents cocktails avant de faire son choix. Elle la regarde ensuite s'éloigner, attarde son regard sur les autres clients du pub, avant de tranquillement reporter son attention vers Bennie. Elle se tait, lui laisse le temps de prendre la parole. L'espace d'un instant, elle se croirait de retour en amphi, sur le point de s'embarquer dans un nouveau début sur un concept ou une loi quelconque avec lui. Sauf que cette fois, ce n'est pas de cours qu'ils parlent, mais plutôt de leur (fausse) relation.

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L’annonce met un certain temps à percuter mais les mots le laissent pantois, si bien qu’il continue à la fixer et ne sort de sa torpeur que lorsqu’elle commande. Il manque de sursauter, manquant de paniquer car n’ayant pas encore fait son choix et maladroitement, il se commande un verre de whisky, servant un sourire penaud à la barmaid, conscient du fait qu’il doit sembler très awkward, à cet instant précis. Il lui faut encore quelques instant pour finalement répondre à Abigail, « well, as long as you don’t ask me to act like a thug to annoy them and deal with potential daddy issues, that’s only fair » il déglutit, détourne le regard rapidement, sentant que le commentaire était peut-être un peu sec, un peu cruel. Il ne sait pas quel genre de relation elle peut avoir avec ses parents, la balance n’est pas équilibrée. Elle, elle a rencontré tout le monde, elle sait qu’il n’est qu’un fils à maman, elle pourrait s’en servir contre lui mais de son côté, il n’a pas la moindre idée de la dynamique du foyer Woods. « You’d have to fill me in first, though, can’t be a good boyfriend if I’m not prepared, I don't even know if you have siblings... » le mot boyfriend s’égare presque lorsqu’il le prononce et Bennie a quasiment l’impression de le voir pendouiller entre eux, au-dessus de la table. Des relations sérieuses, il n’en a pas connue beaucoup. La seule réellement marquante remonte à des années, à l’époque où Clare lui avait brisé le cœur sans ménagement… C’est peut-être pour ça, que sa mère et ses sœurs sont si emballées par la perspective d’Abigail. Parce qu’elle n’a rien à voir avec Clare, parce que Bennie est sans doute trop seul la plupart du temps, parce qu’elles doivent toutes penser qu’il ne vit pas assez, pas correctement, trop occupés à bûcher ses cours. Il manque quand même cruellement d’expérience avec ces choses-là, il ne peut pas vraiment le cacher. Il fait de son mieux, parce que c’est le deal, parce qu’ils jouent un rôle, alors sans scrupule il s’inspire de cliché qu’il a pu voir ça et là. Le fait est qu’il ne sait pas comment être dans une relation quelconque, pas en tant que jeune adulte. S’ajoute à ça l’absence totale de mode d’emploi pour la situation qui les concerne, ce truc un peu tordu dans lequel ils s’égarent et que pour une raison ou une autre, aucun des deux ne semblent prêt à avorter.

Il revoit la toute première rencontre, embuée par les restes d’alcool d’une soirée trop arrosée. Il sent encore la brûlure étrange de ses joues écarlates, se souvient d’avoir tiré Abigail un peu plus contre lui, lorsqu’elles sont entrées. Le premier réflexe avait été de la blottir contre lui, presque possessif, la couvrant de son mieux, la protégeant autant que possible des caquètements curieux de la plus âgée de ses sœurs. Il peut encore entendre les commentaires perçants de Jessamine, adolescente sans gêne aucune : « OMG, BENNIE HAS A GIRL IN HIS BED. A NAKED GIRL. DOES SHE KNOW YOU’RE A HUGE ASS NERD ? » piques beaucoup trop enthousiastes pour l’état général des occupants du lit. Groggy et pourtant alerte, il avait sauté hors du couchage pour pousser sa frangine vers le salon de son deux pièces mais manque de bol, c’était trop tard pour que sa mère et la plus jeune de la famille ne voient pas la tête blonde dans l’embrasure de la porte se refermant. Il peut encore sentir la panique qui l’avait submergé dans l’instant, trop désorienté pour se dire qu’à son âge, il pouvait bien faire ce qu’il voulait, que ce n’était pas grave… Il revoit les vêtements étalés ça-et là dans la pièce et puis elle, au milieu des draps, angélique. Sur le coup, il était resté planté là une ou deux secondes de trop, un sourire retroussant ses lèvres, un peu sonné par le contraste entre leurs disputes animées et la nuit partagée. La panique était revenue, certes, mais pas avant qu’il ait traversé la chambre à coucher pour venir lui voler un baiser, rendu audacieux par la situation mi cocasse mi catastrophique. Quelques secondes volées avant de souffler à voix basse, de supplier à toute vitesse, lui demandant de ne rien dire, d’aller dans le même sens que lui, de ne pas chercher. Sur le coup, il avait dû sembler fou, planté à quelques centimètres d’elle, murmurant aussi rapidement que possible pour ensuite s’habiller et filer au salon, tenter de sauver les pots cassés… résultats relatifs.

La barmaid revient, dépose les boissons et Bennie la remercie tout en attrapant la note qu’elle dépose à côté. Gentleman ou vieux-jeu, il ne veut pas qu’elle voit le montant, pas plus qu’il ne veut qu’elle paye, il a proposé de venir après tout. « I take it you didn’t tell them anything that could sell us out ? » demande-t-il, en attrapant son verre et le présentant pour trinquer. Angélique, elle l’est encore, les lumières chaudes et douces du pub faisant danser des reflets dorés dans ses cheveux, comme un halo piégeur. De là, elle semble presque inoffensive mais voilà, Bennie sait que ce n’est pas le cas, pas quand elle le fout en rogne et l’intrigue dans la même respiration, pas quand elle le pousse sans même essayer à se fourvoyer comme il est en train de le faire.

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Abigail s’attendait à voir Bennie exploser lorsqu’elle avait insinué qu’elle aimerait elle aussi le présenter comme son petit ami auprès de sa famille, mais sa réaction se fait plutôt attendre. L’arrivée de serveuse lui donne l’occasion de faire durer encore plus l’attente. Après avoir donné sa commande à la jeune femme, Abi regarde Bennie faire de même. Elle tente de se retenir mais ne peut s’empêcher de laisser s’échapper un petit rire en le voyant devenir soudainement aussi stressé de faire son choix, n’ayant définitivement pas pris le temps d’y réfléchir avant cet instant précis. Son air confus rappelle à Abi ce fameux matin, juste après que sa sœur ait fait irruption dans la chambre et les ait surpris. Puis un autre élément lui revient en mémoire, la façon dont il l’a serrée contre lui, instinctivement, dès qu’ils se sont fait réveiller. Sur le coup, elle n’avait pas vraiment eu conscience du geste, encore trop endormie, mais en y repensant maintenant, son cœur se met à battre un peu plus vite, elle sent son estomac se nouer quelques secondes. Ses pensées sont cependant interrompues par la voix de Bennie, avant même qu’elle n’ait le temps de comprendre pourquoi ce souvenir lui fait cet effet. Il a mis du temps à répondre, mais si c’était pour être certain que ses mots soient suffisamment percutants, c’est mission réussie. En entendant ses paroles, Abi sent de nouveaux son cœur se serrer, mais ce n’est pas d’excitation cette fois. « What the hell are you talking about? » Elle fronce les sourcils et lui jette un regard noir. Probablement sans même le savoir, il avait touché un point sensible.  Non pas qu’elle ait réellement des daddy issues, sa relation avec son père est tout à fait normale, mais c’est quelque chose dont elle s’est plusieurs fois fait accuser, probablement à cause de sa tendance à être attirée par des hommes plus vieux. Habituellement, elle n’a rien à faire des gens qui racontent cela à son propos, mais le fait que Bennie semble penser ça d’elle la blesse particulièrement. Hors de question pourtant de le lui laisser savoir, elle tente plutôt de faire passer ses sentiments pour de la colère. Ça, elle est plutôt habituée avec Bennie, ce n’est pas trop déstabilisant.

Elle ouvre la bouche à quelques reprises, prête à l’envoyer promener et le traiter de tous les noms, mais chaque fois, dès qu’elle lève les yeux sur lui, plus aucun mot ne veut sortir de sa bouche. Elle sent qu’au fond, il n’avait pas l’intention d’être réellement méchant et qu’elle ne devrait pas s’attarder autant sur ces quelques mots. Alors elle tente de se calmer, de reprendre la conversation normalement. « Of course, I’ll tell you everything you need to know about them. But don’t worry, you’re already the kind of guy they’d love for me to date. » Tellement qu’elle se demande pendant un instant si c’est bien une bonne idée de le présenter à sa famille. Ses parents l’adoreraient tellement qu’ils en voudraient probablement à Abi lorsqu’elle leur annoncerait que les choses sont finies entre eux. « I only have an older brother, by the way. But he probably won’t be there for Christmas, he’s the one having daddy issues. » Elle essaie de sourire en prononçant les derniers mots, question de rassurer Bennie qu’elle n’est pas sur le point de déclencher la guerre à nouveau.

Abi est heureuse lorsqu’elle voit la serveuse revenir vers eux, leurs verres en main. Ce petit remontant était fort attendu et elle ne perd pas de temps pour s’en emparer et en prendre une première gorgée. En voyant l’addition, elle se dit qu’elle devrait payer sa part, se sentant un peu coupable de le laisser dépenser pour ses goûts fancy en cocktails. Mais à voir la vitesse à laquelle il a attrapé la facture, elle se doute que ce sera peine perdue. « I can pay for my drinks, you know. » Avant qu’il ne puisse répliquer, elle sort un billet de son portefeuille et le dépose sur la table, devant lui. Elle lève son verre pour trinquer avec Bennie et le rassurer qu’elle n’a toujours pas trahi son secret. « Don’t worry, your sisters are convinced that I’m madly in love with you! Although they don’t understand what I could find so attractive about their brother. » Elle repense aux grimaces qu’elles ont fait tout l’après-midi, lorsqu’Abi faisait semblant de se pâmer devant les beaux yeux ou les biceps musclés de Bennie. Elle en avait mis beaucoup, à la fois pour les convaincre et les faire rire. Mais en réalité, elle n'avait pas eu à se forcer autant qu'elle ne l'aurait cru. C'était étonnamment facile de faire semblant d'être amoureuse de lui. Peut-être trop?

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En amphi, ils n’ont pas besoin de grand-chose pour s’emporter. Ça part tout seul, une remarque, une pique, une provocation à peine voilée, depuis qu’ils ont découvert qu’ils étaient rarement d’accord, c’est un cirque incessant. Bennie est presque sûr que certains de leurs camarades tiennent des listes ou font des paris quant à ces esclandres habituels, joutes verbales entre eux. C’est bien simple, s’il y a la nuance à débattre, ils la trouveront, alors lorsqu’elle se précipite pour mettre un billet sur la table et lui couper l’herbe sous le pied alors qu’il allait régler les consommations, il fronce les sourcils, voyant là une opportunité pour que les choses dérapent. Evidemment, elle pense qu’il fait ça parce qu’il la pense sans le sous, ou quelque chose du genre, évidemment elle a compris son geste de travers… à moins qu’elle voit là-dedans une sorte de galanterie sexiste… Il n’est pas sûr. Il n’est jamais sûr avec elle. Il se sent juste lever les yeux vers le plafond, d’un air un peu exaspéré, marmonnant « I know you can pay, I just… » sentant ses joues s’empourprer. C’est le problème, avec ces disputes stupides, il se retrouve toujours écarlate, le souffle court, parce qu’elle lui tient tête et le prend de court et lui s’épuise à ne pas se laisser faire. A côté, elle semble garder un calme olympien, amusée d’ainsi le secouer et ça l’agace encore plus. « I invited you out for a drink, the bill is on me » insiste-t-il, poussant vers elle le billet « you’ll take me out once your parents are done questionning me about my intentions with you. » Sourcils froncés, il hésite à ajouter qu’elle n’est pas obligée de constamment s’opposer à tout ce qu’il fait mais il se ravise, se disant que ça ne ferait qu’ajouter de l’huile sur le feu, alors qu’ils sont bien assez tendus comme ça. Lui l’est, en tout cas.


Ça sent le plan foireux, d’ajouter ses parents à elle dans l’équation. Certes, il lui doit bien ça, après tout, mais il a un mauvais pressentiment (peut-être qu’il est juste nerveux, nerveux à l’idée de rencontrer sa famille, d’être encore plus impliqué, de tomber malgré lui) et encore plus que le plan actuel qui n’est déjà pas fameux, ce développement s’annonce périlleux. Il peut sentir la catastrophe venir à des kilomètres, s’imaginant déjà face à la famille d’Abigail. Mentir à des inconnus, ceci dit, s’avérera sans doute plus facile que de le faire face à ses sœurs qui le connaissent par cœur et sa mère qui connaît toutes les façons qu’il peut avoir de se trahir sans le réaliser. Lorsqu’elles mentionnent les deux cadettes Tennyson, il ne peut s’empêcher de serrer les dents, se demandant ce qu’elles ont bien pu raconter à son sujet. Relation inventée de toute pièce ou non, il n’est pas forcément friand d’une humiliation prolongée et il sait que Jessamine, la plus âgée, a de quoi l’enterrer. Donner des munitions à Abigail ne semble pas l’idée du siècle, pas quand les choses risquent de se terminer si mal, pas quand il y a une forte possibilité qu’elle finisse par le haïr.


« I never asked, would you have called me after leaving my place, if my sister hadn’t barged in ? » demande-t-il de but en blanc. En s’entendant, il s’étonne lui-même de cette question, un peu trop directe sans doute, pas certain de vouloir la réponse de toute façon. Ca le taraude, pourtant, il se demande ce qui serait advenu de cette histoire supposée sans lendemain s’ils n’avaient pas été réveillés brutalement par une furie adolescente. Il lui aurait fait du café, elle aurait sûrement cherché à se sauver très vite, plus assez alcoolisée pour justifier sa présence ici mais après ? Comment auraient-ils agis en se recroisant sur le campus, en amphi ? Aurait-elle fait semblant de l’ignorer ou la marche à suivre aurait-elle été de faire comme si rien ne s’était produit ? Il n’est même pas certain de comment ils ont fait pour se rapprocher, à cette maudite soirée, n’en gardant que quelques détails. La musique, trop forte et son sourire, trop taquin, et puis son odeur, ses lèvres, l’impression incontrôlable d’avoir entre les mains le sort de l’univers tout entier, force irrépressible l’empêchant de s’éloigner. Après qu’elle ait quitté son appartement, après que ses sœurs soient reparties, conduites par la matriarche, il s’était écroulé dans son lit et avait retrouvé sur son oreiller le parfum d’Abigail, s’endormant dedans, confus au possible. Ca aussi, ça restait gravé. Soudain gêné, il avala une rasade de whisky, craignant une réponse positive, redoutant la négative et cherchant de quoi changer de sujet. « Anyway, if Nana Tennyson likes you enough, maybe she’ll give me her wedding ring so I can propose » lança-t-il, finalement, essayant d’en rire. Assurément, ils arriveraient à se tirer de là avant des fiançailles, la manigance n’irait pas si loin, right ?

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bennie & abigail

La situation actuelle est comme une bombe à retardements. À chaque mot, chaque regard, un des deux risque d’exploser. C’est même étonnant que leurs rapports soient restés cordiaux jusqu’à maintenant, normalement, ça ne dure jamais aussi longtemps que ça avant que le ton monte de volume et que toute forme de politesse devienne superflue. Mais malgré quelques piques, Abigail se sent plus clémente qu’à l’habitude en ce moment. Elle se dit que c’est absurde de déclencher une dispute pour la facture alors qu’ils savent tous les deux très bien que l’argent n’est pas un problème pour aucun d’eux. Alors elle cède. « That’s fair, I guess. » Elle reprend son billet, son orgueil pas tout à fait content d’avoir donné raison à Bennie. Elle se promet que ça ne se reproduira plus de si tôt.

Abi est en train de prendre une gorgée de sa boisson lorsque Bennie l’interroge sur ce qu’elle aurait fait si tout cela n’était pas arrivé, si leur nuit passée ensemble s’était terminée comme n’importe quelle autre. Elle manque de s’étouffer en entendant cela, surprise que ce soit lui qui aborde le sujet. Lui qui est habituellement si timide, qui rougit dès que les choses deviennent un peu trop sérieuses ou émotives. Abi répond à la question de la seule façon qu’elle sait le faire avec lui. « Aren’t men supposed to do that? Since you’re such a gentleman, paying for the bill and all, I would have thought you’d be the type of guy who follows that “rule”. » En réalité, elle n’a aucune idée de la vraie réponse à sa question. Tout s’est enchaîné si vite qu’elle n’a pas eu le temps de réfléchir à comment les choses auraient pu se passer autrement. Abi avait beaucoup apprécié cette nuit passée avec lui, elle s’était sentie bien dans ses bras. Durant cet instant, elle n’avait plus du tout en tête leur relation houleuse en classe. Pour la première fois, elle ne le voyait plus comme un adversaire qu’elle devait constamment contredire, mais simplement comme un garçon avec qui elle se sentait bien. Pourtant, cette nuit était arrivée de façon si inattendue, sans aucun signe précurseur, sans aucun événement précédent qui aurait pu leur faire changer d’opinion l’un sur l’autre, qu’elle avait de la difficulté à imaginer comment ils auraient pu abandonner complètement leurs anciennes habitudes et commencer à se fréquenter comme s’ils venaient tout juste de se rencontrer. Au fond, ça l’arrange un peu, Abi, que la famille de Bennie soit débarquée et les ait forcé à jouer ce jeu. Ça leur a évité d’avoir à se poser la question pour de vrai. Elle hésite à exprimer tout ça à Bennie. Elle se dit que ça a dû lui demander beaucoup pour oser aborder le sujet en premier, poser cette question qui flottait entre eux depuis le début et qu’ils faisaient semblant d’ignorer. Alors elle se dit qu’elle lui devrait bien de lui fournir une vraie réponse plutôt que de simplement l’éviter en blaguant. Sauf qu’elle n’en a pas, de vraie réponse. Jouant nerveusement avec ses doigts, le regard baissé, elle tente un semblant de réponse. « Honestly, I have no idea. I had a very good time, but I really don’t know what would have happened. » Elle relève timidement les yeux pour observer la réaction de Bennie. C’est la première fois qu’Abi se sent vulnérable face à Bennie et elle n’aime pas ce sentiment. Elle a l’impression qu’en ce moment, il pourrait lui faire avouer toutes sortes de choses simplement en posant les bonnes questions, en la regardant dans les yeux. Elle décide de changer tout de suite de sujet avant que la conversation ne devienne trop intime. « I’m getting hungry. Do you want to order some nachos? »

La conversation reprend tranquillement son cours normal, même Abi est encore un peu secouée par la question que Bennie vient de poser. Elle tique légèrement lorsqu’il parle de la bague de mariage de sa grand-mère, mais se ressaisit rapidement.  « Oh that’s perfect! After the wedding, I guess nobody will have any doubt about our relationship. » Elle rit, ne pouvant s’empêcher de se dire qu’à ce rythme, ils vont peut-être effectivement se rendre jusqu’au point des fiancailles. Aucun des deux ne semble prêt à mettre fin à leur petit jeu, même s’ils savent tous les deux très bien que ça ne pourra pas durer. Abi décide qu’ils devraient peut-être se fixer une date, une sorte d’ultimatum pour ne plus avoir la possibilité de repousser l’échéance indéfiniment. « Ok, let’s say that after Christmas, we breakup for good. We can’t keep doing this forever. »

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Make a wish on our sorry little hearts, have a smoke, pour a drink, steal a kiss in the dark. Fingernails on my skin like the teeth of a shark, I'm intoxicated by the lie.

Il se demande s’ils en finissent toujours aux provocations et aux prises de bec parce que c’est inévitable ou s’il s’agit d’une façon comme une autre d’éviter un silence pesant et une tension gênante. Elle est jolie – non, belle – il n’est pas aveugle, il l’a remarqué depuis longtemps. Stupide, il l’a peut-être même trouvée trop jolie pour son bien, se disant qu’une fille comme ça n’avait assurément pas besoin d’être, en plus, intelligente et qu’elle ne l’était sûrement pas… Dieu sait à quel point il s’est foutu le doigt dans l’œil, sur ce point-là. Toujours est-il que ça le taraude. Est-ce qu’il est sur la défensive, avec elle, parce que d’une certaine manière, elle l’intimide et le pousse dans ses derniers retranchements ? Il n’aime pas être de ces types qui deviennent agressifs lorsqu’ils se sentent en danger, ça n’a jamais été son style, mais Abigail… Lorsqu’elle répond à la question qu’il regrette un peu d’avoir posé, il serre les dents, sentant ses joues s’empourprer. Mal à l’aise, il l’est, c’est évident, plus que lorsqu’il l’avait dans son lit. Certes, il est aussi bien plus sobre que lorsqu’elle était entre ses draps et ça n’aide pas sa confiance mais par tous les saints, est-il obligé de virer écarlate ?

Elle le rassure, pourtant, sans même le savoir, sans même que Bennie sache avant que ça n’arrive qu’il avait besoin d’être rassuré. Parce qu’ils avaient bu, trop, il se demande régulièrement s’il n’a pas abusé en la ramenant chez lui, si ça n’était pas une connerie, un truc irresponsable, le genre de situation contre lesquelles on met en garde les étudiants avec des posters punaisés aux panneaux d’information, ces slogans censés s’imprégner dans les cranes malléables les lisant. ‘If they're drunk, they can’t consent’ – cette histoire lui fait repenser toute sa morale, son éthique, il rumine sans oser demander parce qu’au fond, comment est-il supposé demander ça sans foutre les pieds dans le plat. Mais elle a passé un bon moment, et puis elle tolère sa présence, fait semblant d’être sa petite copine, alors peut-être qu’il panique pour rien. Lui aussi, il a passé un bon moment. Il force un sourire maladroit, réalisant qu’elle semble un peu mal à l’aise et se sentant con de ne pas savoir quoi faire pour arranger les choses. Lui commander un autre verre, peut-être ? Lutter contre le froid en lui passant son écharpe, c’est facile, mais ça… Elle enchaîne avant qu’il ne se perfore la cervelle à trouver quelque chose, proposant des nachos. Il hoche la tête, fait signe à la barmaid et se retrouve comme un idiot à faire de grands gestes pour mimer une large assiette. Elle fait mine d’avoir compris avant qu’il ne se ridiculise totalement, ceci dit et il se retrouve à nouveau avec son attention tournée vers Abigail, qui plaisante quant à un mariage, et puis Noël et la fin programmée de cette mascarade.

Elle a raison, de mentionner une date, c’est le mieux à faire. Il ne sait pas exactement pourquoi, ceci dit, mais ça le contrarie légèrement, ça lui fait froncer les sourcils. Il sirote son verre, hoche la tête parce qu’au fond il est d’accord et puis il lui lance un semblant de pique. « Look at you, making sure I have to get you a present before you get to dump me, great thinking » plaisante-t-il, déjà en train de réfléchir à quoi lui offrir ceci dit, parce qu’il lui doit au moins ça, parce que de toute façon sa mère et ses sœurs vont le tanner pour savoir ce qu’il a décidé de lui donner, voulant s’assurer qu’il n’a pas fait de bêtises. Elles sont déjà trop investies dans cette relation, eux aussi clairement. « Oh yeah, by the way, you’re dumping me, otherwise I’m going to get called an idiot for letting you go, if I’m the one breaking up that match made in heaven… » autant en rire, autant ne pas trop penser à la contrariété. La serveuse arrive avec l’assiette, tortillas dégoulinante de fromage fondu et il réalise qu’il a aussi faim, épuisé par une après-midi à se torturer mentalement en imaginant le pire. Dans la foulée, il commande un second round de boissons, de quoi tenir pendant qu’ils mangent, qu’ils discutent, comme si c’était le truc le plus normal du monde. Ca ne l’est pas. Il n’est pas certain de savoir comment se comporter avec elle, pas certain de savoir où s’arrête les faux-semblants et où commence la réalité. Ils ne sont pas ensemble, pas exclusif, elle a peut-être un vrai copain qu’elle cache à ses parents, ou juste un amant qu’elle ne s’imagine pas leur présenter. Il ne sait pas s’il peut lui tenir la main quand sa mère n’est pas en train de scruter leurs moindres faits et gestes. Chaque interaction est étrange, chaque bonjour, chaque au-revoir, doit-il l’embrasser, lui adresser un sourire désolé ? Assurément, le fait qu’il ne soit pas très adroit n’aide en rien mais il n’y a pas que ça, la tension réside ailleurs, dans leur lien particulier, dans cette relation tordue et un peu malsaine qui lui occupe un peu trop l’esprit. Il pioche dans les nachos, observant Abigail du coin de l’œil et puis il tente de se justifier. « Don’t mind me, I’m just waiting to see if you manage to eat this without stuffing your face » lance-t-il avec un sourire narquois, pas convaincu de ce qu’il dit, la trouvant un peu trop gracieuse, images trop claires d’une nuit partagée et d’un matin violemment coupé. « Maybe I’ll get you a bib for Christmas » taquine-t-il finalement, essayant de penser à autre chose qu’à sa présence contre lui cette nuit-là, les joues à nouveau cramoisies

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bennie & abigail

Toutes ces discussions à propos de Noël font réaliser à Abi que pour la première fois depuis des années, elle est plutôt excitée à propos des fêtes de fin d’année. Depuis qu’elle a passé l’âge d’écrire des lettres au Père Noël et de réveiller ses parents à l’aube pour aller ouvrir ses cadeaux, cette fête n’a plus tellement d’intérêt pour elle. C’est plutôt devenu synonyme d’ennui, d’agitation inutile et de réunions familiales dont elle se passerait volontiers. Sans compter les films de Noël qui accaparent toutes les télévisions et qu’elle trouve insupportables. Pourtant, cette année, elle commence déjà à avoir hâte. La curiosité de découvrir les traditions des Tennyson, la fierté de présenter un bon garçon comme Bennie à son père, le fait que tout va être assurément très différent des années précédente… Cela suffit à raviver son intérêt pour Noël. Elle s’est même surprise à être enthousiaste en réfléchissant à un cadeau à offrir à Bennie, elle qui déteste pourtant plus que tout trouver des idées de cadeaux! Elle se surprend elle-même.

« Oh crap, you figured out my plan! » Elle est plutôt reconnaissante qu’il n’ait pas insisté plus longtemps sur la question de tout à l’heure et ait plutôt aidé à alléger la conversation. Elle préfère largement quand ils rigolent et se lancent des piques, elle se sent plus dans son élément. « Yeah I get it. Do you want me to make it nice and soft or to be really harsh so that you know there’s absolutely no chance for you to get me back? » Ça lui fait tout de même drôle à Abi, d’imaginer ce moment où ce sera terminé pour de bon et que plus rien ne les retiendra ensemble. Qu’elle n’aura plus aucune raison de voir ses sœurs, ni même lui en dehors des cours. Contrairement à une vraie rupture, il n’y aura pas de larme, pas de grosse discussion finale. Seulement un moment où ils reprendront leur route chacun de leur côté, comme si rien n’était arrivé du tout. Lorsque l’assiette de nachos arrive, Abi ne peut s’empêcher de saliver, mais elle décide tout de même d’attendre que Bennie se lance le premier. Elle attrape ensuite une croustille à son tour, tentant de faire ça de façon élégante, même si elle réalise bien que c’est mission impossible. Elle remarque le regard de Bennie posé sur elle, s’attendant probablement à ce qu’elle salisse tout d’une seconde à l’autre. Effectivement, juste avant que les nachos n’atteignent sa bouche, le fromage glisse, tombant directement sur la table en éclaboussant tout de salsa au passage. Le regard d’Abi croise celui de Bennie et elle se met instantanément à rigoler. Timidement d’abord, jusqu’à ce que ses rires se transforment en vrai fou rire. Chaque fois qu’elle semble se ressaisir, elle revoit la scène dans sa tête et repart de plus belle. Elle met plusieurs bonnes minutes à s’en remettre, ne sachant pas trop si Bennie trouve cela aussi drôle qu’elle ou si au contraire, il la trouve complètement folle en ce moment. Une fois son calme retrouvé, elle pige de nouveau dans les nachos, oubliant complètement les bonnes manières cette fois. « Ah fuck it! » dit-elle avant d’emplir sa bouche de croustilles, pleins de sauce sur les doigts.

Alors qu’elle prend une gorgée du verre que la serveuse vient de lui apporter pour faire passer l’énorme bouchée qu’elle vient d’avaler, Abi remarque le barman qui vient remplacer celui qui était en poste à leur arrivée. Il est tout à fait son type et si elle avait été avec des copines, elle n’aurait pas hésité une seconde pour se poster au bar et aller flirter avec lui. Elle réalise à ce moment que depuis que toute l’histoire avec Bennie a commencé, il ne s’est rien passé avec aucun autre mec. Pas de sexe, pas de rendez-vous, pas même de flirt. Rien du tout. Elle tente de se justifier en se disant que ses derniers weekends ont été occupés, entre les sorties avec la famille de Bennie et les révisions. Elle se dit aussi que c’était pour être plus prudente, au cas où elle serait tombée sur un des membres de sa famille par hasard, quoique peu probable étant donné qu’ils font probablement rarement le chemin jusqu’à Brighton si ce n’est pour venir voir Bennie. En réalité, cela ne lui est tout simplement même pas passé par l’esprit. Comme si même si elle ne s’était plus sentie « disponible », même si elle sait très bien qu’elle ne doit rien à Bennie et que leur fausse relation n’a jamais impliqué qu’elle devait arrêter de vivre sa vie comme à l’habitude. « You know, that’s funny, since we’re "together", I haven’t dated anyone for real. » Elle ne sait pas trop pourquoi elle a prononcé cette réflexion à voix haute. Elle regrette tout de suite, ne voulant pas donner l’impression à Bennie qu’ils se doivent une quelconque exclusivité. Elle tente de corriger le tir. « Not that I stopped myself from it, I mean, our fake relationship doesn’t change anything. But I don’t know, I just didn't have any opportunity. » Elle recommence à siroter son verre, portant toute son attention sur celui-ci en attendant de voir ce que Bennie va répondre. Elle est un peu curieuse de savoir ce qui s’est passé de son côté à lui, s’il a vu d’autres filles depuis qu’ils sont « en couple ». Étrangement, son cœur se serre légèrement à cette idée. Elle sait qu’elle et lui, c’est seulement pour les apparences et qu’en attendant, il espère probablement rencontrer une fille avec qui il connecte pour de vrai. Cela lui rappelle que malgré les moments sympas qu’ils passent ensemble, il n’y a rien de vrai dans tout ça, dans elle et lui. Que des faux sentiments, des faux regards amoureux, des fausses démonstrations d’affection.