elle n'en a pas fermé l'oeil, janey. encore une fois. les nuits blanches s'accumulent, les souvenirs l'ensevelissent. et elle reste spectatrice de sa propre chute. elle a la désagréable impression de n'être plus qu'une marionnette, de ne plus avoir la moindre emprise sur ce qu'est devenue sa vie. elle a tourné, elle a viré dans ce grand lit devenu trop vide depuis quelques semaines. malheureusement, elle a perdu l'habitude de la solitude. et celle-ci la rattrape bien trop rapidement à son goût. lors de ces nuits sans sommeil, elle se repasse en boucle le film de sa vie, comme si elle l'avait enregistré sur cassette et qu'elle pouvait désormais le revisionner un nombre de fois illimité. pourtant, elle s'en passerait volontiers. c'est avec un soulagement non dissimulé qu'elle voit les chiffres de son réveil afficher six heures trente. et elle ne se fait pas prier pour abréger son calvaire. inutile de chercher la paix qui ne semble pas vouloir s'infiltrer dans sa tête. il n'y a qu'un seul remède capable d'endormir ce mal, et janey le connaît très bien.
la jeune femme n'a jamais passé la porte de la galerie aussi tôt que ce matin-là. elle n'attendait pas particulièrement de croiser du monde, elle savait pertinemment que personne n'irait visiter les boutiques dans les trois heures à venir, au minimum. mais ce n'est définitivement pas de la compagnie qu'elle recherche, seulement une occupation. quelque chose qui l'aidera à oublier sa vie qui part en live, ne serait-ce qu'une demie-journée. elle a besoin d'un semblant de répit, la petite blonde. elle serait prête à tout accepter pourvu qu'on la laisse respirer un instant. par chance, elle a un tas de paperasses en retard. des papiers à trier qu'elle remet toujours à plus tard. aujourd'hui, elle n'y coupera pas et elle le fera avec le plus grand des plaisirs. tu te calfeutres dans le petit bureau à l'arrière de la boutique et t'étales ce qui va te servir de passe-temps. tu t'y plonges corps et âme, sans ne plus prêter la moindre attention à l'heure qui défile. ni même à l'ouverture de la boutique que tu es censée faire ce matin. ce n'est que lorsque tu entends la clé tourner dans la serrure que tu prends conscience de l'horaire. j'suis désolée reni, j'ai pas fait gaffe... j'avais le cerveau complètement obnubilé par toute la paperasse, qu'elle s'excuse en rejoignant son associée à l'entrée. elle se maudit intérieurement de s'être laisser dépasser de la sorte et espère bien fort n'avoir fait fuir aucun client. ce serait le début de la fin pour elle. janey s'étant toujours promis de ne jamais laisser sa vie privée influer sur sa vie professionnelle.