Embruns marins, odeur iodée, bruissement des vagues. Elle est seule ce soir, jeanne. Comme d'autres soirs, comme trop de soirs. Il dit j'ai du travail elle entend j'ai une autre femme. alors elle s'enfuit, pieds nus sur le sable frais, elle rêve de plonger la tête dans les eaux froides jusqu'à faire taire ses pensées, elle se perd dans la contemplation de l'horizon pour oublier qu'elle voudrait courir en sens inverse, jusqu'à ses bureaux, jusqu'à lui. Avoir la preuve de son innocence ou le cœur déchiré devant l'irréfutable. qu'est-ce qu'elle en sait, jeanne ? elle voudrait cesser d'y penser pourtant ça ne quitte jamais sa tête, ça se lit sur son visage, dans le froncement de sourcils qui lui donne l'air soucieux, dans ses dents qui mordillent l'ongle. Et le monde qui tourne autour d'elle, qui lui donne le vertige. Elle se voit tomber jeanne, chute vertigineuse, elle s'accroche aux branches de ses espoirs, qui craquent une à une sous le joug de sa folie. il me trompe, il me trompe pas, il me trompe, il me trompe pas.

y a une silhouette qui la tire de sa contemplation, arrache son regard au triste tableau de ses errances, l'oeil qui suit les courbes, qui repère le visage. Dans l'obscurité d'un couché de soleil, elle entrevoit des traits. Et ses pas comme mués de leur volontés propre rejoigne le phare dans sa nuit sans lune. Elle est lumière, madame pauls. Guide de certains jours et ce soir, peut-être, sa voix fera taire celle de jeanne, qui hurle trop fort dans son crâne. « bonsoir » Elle est fébrile, maladroite. Sourire gauche au bout des lèvres. Elle voudrait dire comment allez-vous? mais tout ce qui lui vient c'est va-t-il me quitter ? m'aime-t-il toujours ? Combien d'océan vais-je pleurer encore ? alors elle sait tais plutôt que de l'encombrer avec ses doutes. Et elle sait plus quoi dire maintenant, jeanne. Dans sa tête y a tellement de choses, tellement de détails. Tellement d'incertitudes qui mériteraient d'être éclaircis.  Elle sait plus par ou commencer pour respirer enfin, sortir de cet amoncellement de doute qui la fait suffoquer. mais elle a pas d'argent pour la consultation. « c'est drôle de vous voir ici. » silence. Elle rit pour faire taire la cacophonie du vide, l'inutilité de ses mots qu'elle envoie, pour alléger l'air alors que le regard clair de la voyante la sonde. Elle sent bien dans son ton vacillant la maladresse qui l'habite, poison pernicieux qui s'infiltre dans chaque pores de sa peau, dans chaque pensées qui l'habite. Elle panique soudain, elle veut pas parler. Parler pour dire quoi ? et les yeux clair de madame pauls qui se posent sur elle la gêne, scanner sur son âme, l'impression d'être mise à nue, elle doit tout voir elle, la voyante. toutes les failles, les brèches dans l'âme, la crasse de ses doutes qui salit son coeur. Elle sourit plus fort, pour faire fuir la gêne, regarde ailleurs, se voit partir en courant. c'est fou, complètement stupide pourtant, son souffle devient difficile avant qu'elle ne lâche finalement: « je vais me marier, vous saviez ? » et un rire gêné, sourire maladroit encore. ennuyée de se mettre en avant comme ça, trop heureuse pourtant de le crier à qui voudrait l'entendre. bien sûr, elle doit savoir, elle est voyante. Elle doit le lire dans les cartes, les lignes de sa main ou le contour de son âme. Ou peut-être le voit-elle seulement à la bague qui orne son doigt, unique point d'ancrage dans le tumulte de son désespoir. Bijou de promesse aux relents de mensonges. Sournoiserie tapis derrière l'éclat d'un ornement offert dans un écrin d'amour fourbe. y a comme une note de désespoir, dans le regard qu'elle lance à madame pauls. Son âme qu'elle met dans ses mains et le besoin enfantin de l'entendre dire oui je sais, c'est merveilleux, vous êtes merveilleuse et tout va bien se passer. elle entendrait presque les boum-boum de son cœur, symphonie discordante alors qu'elle ressent ce stress infondé à mesure que le silence s'étire.

bonsoir jeanne. C'est joli, son prénom entre les lèvres de mariel, elle avait jamais fait attention avant. Peut-être trop occupé à se soucier de sa propre vie, à entraîner mariel dans la sienne. Ca doit être triste, la vie d'une voyante, occupé à voir sans jamais être vraiment vue. Elle voudrait la regarder, jeanne, s'abreuver de son image et parler un peu d'elle. Mais elle préfère plus encore parler de sa bague, de son rêve, de cet homme merveilleux qu'elle a façonné, fantasmé.  « avec plaisir » et un peu trop d'empressement, bien trop contente de ne pas être seule, de trouver de la compagnie dans la douceur. Et pour le café. Mais causer surtout. Elle rit, un son volatile qui s'éteint trop vite, contente de raconter, de se raconter, d'entendre mariel s'intéresser. Elle voudrait inventer mille histoire pour la faire rêver, de ces fables ornée d'or et de paillette qui mettrait des étoiles dans ses yeux. Jeanne elle veut être princesse, robe à longue traîne, tiare sur la tête. Souillon parée d'illusions que mariel titille du bout des lèvres, la odeurs de café et de doute. Elle a le sourire qui vacille, juste un peu. la confiance, le mot est lourd, les maux encore plus. Ça pèse sur ses épaules comme une chape de plomb. « oui. » quelques secondes d'hésitation et son regard accroché à celui de mariel, sérum de vérité comme du gros sel sur les plaies encore ouvertes. « non. Je ne sais pas. » Elle regarde sa tasse de café, elle veut y lire l'avenir comme mariel sait le faire, qu'elle y trouvera des réponses à toutes ces questions. A sa question, à elle. A ses pensées qui s'entrechoquent, désordonnées, un peu abîmées. Elle contemple le reflet obscure, l'éclat terni de ses rêves. Et du bout des lèvres, son sourire se fige un peu. « il est revenu plus tôt de son voyage. » elle a le rire attendri d'une femme aveuglée, doux air rêveur qui ne se pose pas sur mariel. Enfermée dans un cocon brillant d'illusions, alimentées par les rêves d'enfants qui ne veulent pas mourir, par une réalité altérée, réinventée sous l'oeil naïf d'une femme-photo. Polaroid d'une vie volée à un dessin animée. « je lui manquais, il l'a dit. Il peut pas me tromper si je lui manque, pas vrai? » c'est presque un murmure à elle-même, un bout de ces incertitudes qu'elle laisse échapper, jusqu'aux oreilles de sa voyante qu'elle ose à peine regarder. Et soudain l'oeil hagard, qui s'échappe sans jamais se poser. Tout plutôt que ses yeux clairs qui l'aspire. Tout plutôt que le reflet de sa peur dans son regard océan. Elle a envie de crier sur mariel, hurler ne touche pas mes rêves, arrête, tout ira bien. J'le sais. « il m'aime, vous savez ce que c'est. » rien qu'un haussement d'épaule pour expliquer tout ça. L'indicible, l'inexplicable. elle doit en aimer souvent mariel, se faire aimer tout le temps, son visage doux, ces sourires amers, la mélancolie d'un regard qui vous transporte. Elle doit connaître elle aussi, le fléau des sentiments. elle doit te comprendre, toi.