Des éclats de rire alcoolisés, couverts par les notes électriques d'une platine. La musique résonne de loin, jusqu'au fond de sa caboche blonde. Le corps qui tangue et l'esprit qui s'effrite, alors qu'il sature, imbibé d'éthanol. Les harmoniques sont lointains, étouffés par les portes fermées et la distance qu'il a réussi à imposer entre lui et cette baraque. Carcasse échouée sur le bord d'un trottoir, la tête qui tourne sans arrêt. Il compte les étoiles, ou peut-être bien les lampadaires, Seth. Oublie le froid qui mord ses bras nus et transperce ses chaussettes. Les lippes piquées d'un sourire désabusé, il pose son dernier verre à côté de sa silhouette voûtée et laisse ses phalanges courir sur l'écran de son téléphone. Des erreurs qui ne demandent qu'à être composées du bout des doigts, quelques révélations qui pourraient détruire le monde – le sien, en tout cas. Les empreintes dérapent sur l'écran et font défiler les conversation. Les dernières insultes, les derniers regrets. L'acidité pour envelopper les syllabes, pour se défendre, ou essayer du moins. Une question de survie, ni plus, ni moins. Il en rit, Seth, alors que sa main se resserre sur le téléphone. Il pourrait bien le jeter dans les égouts, mais il s'en dissuade, quand une silhouette familière approche. « What the fuck dude, where's the Porsche ? » Les yeux écarquillés par la surprise et toujours ce même sourire plaqué aux lèvres. Il se lève et titube. Cache ses maux derrière ses lippes. Help me, please.

Un départ à la hâte, en plein milieu de la nuit. Les questions de Renata auxquelles t’as répondu vaguement, grommelant le prénom de Seth et la situation ridicule dans laquelle il s’est retrouvé tout seul. Et ça te fait doucement rire, de voir que t’es le plus sérieux dans cette histoire.
Le casque vissé sur le crâne, un autre enfoncé dans un sac à dos. Le bruit du moteur déchirant le silence de la rue. La sensation des roues sur l'asphalte réveille tes idées endormies. Tiré du lit par un appel à l'aide. Non, tu ne dormais pas. L'esprit trop contaminé par les emmerdes qui s'accumulent. Deux saisons de plus. Un piège que tu préfères oublier, à l'instant où tu te gares. A quelques mètres, la carcasse échouée de l'acteur. Tu déposes ton casque sur le guidon de la moto, ne prends même pas la peine de mettre l'antivol. Les lieux sont complètement désert. A plusieurs centaines de mètres, les échos d'une soirée trop arrosée pour Abberline. Le sourire désabusé sur les lèvres, quand il prend la parole. « How drunk are you, cazzo ? » Bien de trop, pour être parfaitement honnête.
Tu glisses ton bras autour de la silhouette chancelante, le guide jusqu'à ta bécane. Le traîne, plutôt. « I really hope you can sit still on the seat. » Le deuxième casque collé entre ses mains, avant d'enfiler le tien. Ses bras que tu viens capturer, après avoir repris ta place sur la moto. Les places autour de ta taille, dans l'espoir qu'il reste en place. « If you fall, I swear to God, I'm leaving you to bleed to death. » Les doigts serrant le guidon, tournent la poignée pour accélérer et quitter le lieu d'une débauche trop brouillonne.

L'éthanol pour décaper les sentiments, diluer les souvenirs, éteindre la brûlure qui le bousille de l'intérieur. Il n'a pas retenu ses cours de chimie, Seth ; il a oublié que l'alcool sur la flamme, c'est pire encore. Un incendie qu'il subit sur le bord du trottoir en attendant Lorenzo. Cazzo. Le mot qui claque dans un brouillard de syllabes. Quelques lettres pour lui rappeler sa mère et cette Italie qu'elle chérit tant – sa mère qui le regarde s'autodétruire, malgré ses grands sourires. « I can sit, stupido. » La langue qui claque et un sourire débordant de malice. Il rit sans même savoir pourquoi, Abberline. Il rit pour cacher ses maux. Le périple s'achève sur la bécane et sa silhouette s'effondre contre celle de Lorenzo dans un équilibre précaire. Un instant de semi-conscience, jusqu'à ce que la voix du footballeur ne le ramène à la réalité, à nouveau. « This is not really nice. » Il divague, Seth. « And pretty sad. I'd die James Dean style. » Icône fauchée par la vitesse, dans la fleur de l'âge. Il se cale sur Lorenzo et ne bouge presque plus. Tente de rester droit, alors que son monde entier tangue. « What a party. » A pity party. Il en rit Abberline, au moins autant qu'il a envie d'en pleurer. Un soupir las franchit la barrière de ses lèvres. Demain il regrettera tous ses excès, à nouveau. « Oh boy imma throw up. »

Le souffle au bord des lèvres. « Chiudi il becco. » L’ordre au silence quand l’autre déblatère derrière toi. Les effluves d’alcool, elles ondulent autour des deux silhouettes. Il a bien trop bu, l’acteur. Parti dans les méandres qu’il regrettera le lendemain. Rôles inversés, comparé à la dernière rencontre, où c’était toi qui titubais lors d’une soirée mondaine. Où c’étaient tes propos qui entachaient la réputation de l’autre devant l’idole de ton enfance. T’as pas grand-chose à dire, Lorenzo. T’as pas le droit de te plaindre, maintenant que c’est Seth qui prend la relève. Quelques virages pris à vitesse moindre, pour éviter l’accident. Que l’autre s’écrase sur l’asphalte avant que t’aies le temps de t’en rendre compte. « I have no idea what you’re talking about. », que tu cries par-dessus ton épaule. Il s’égare, Seth. Se perd dans des propos qui manquent de sens. Puis ce sont tes doigts qui écrasent les freins quand sa voix porte à nouveau. L’injure qui passe tes lèvres. Arrêtés sur le côté de la route, tu descends de la moto avant de retirer en vitesse le casque de Seth. « Jesus Christ, Seth. You’re a joke. » Et putain, ça te fait rire ces conneries. Le rictus au coin des lèvres quand tu le guides derrière la barrière de sécurité. La main aplatie contre son dos, son bras autour de tes épaules. Le bruit des voitures devenu lointain. « Alright, Abberline. Just do it so we can leave. » L’éclat de rire retenu au fond de la gorge.

De grands sourires pour cacher les maux véritables. L'euphorie pour justifier les larmes qui bordent ses paupières. Rien ne va plus, Lorenzo. Sa volonté s'effrite et ses rêves avec. La célébrité ou Ford. Dilemme cornélien imposé par son agent. Dilemme qui n'en est pas un, pourtant. Si seulement t'ouvrais les yeux, Abberline. La moto roule trop vite. Peut-être pas assez. Le monde tourne et s'arrête brusquement, on lui retire son casque et la sensation d'asphyxie passe. « Don't swear, you bad boy. » Éclats de rire qui claquent dans la nuit. Une crédibilité qui s'effondre un peu plus à chaque fois qu'il ouvre la bouche.  Ineptie sur ineptie, et bien heureusement, Lorenzo en est le seul – malheureux – témoin.  L'envie de vomir, elle ne se concrétise pas. L'air frais fait passer la nausée, mais ses jambes elles, sont toujours aussi engourdies. « Hm it's okay, I won't puke. » Il acquiesce pour confirmer. S'assoit à ses pieds, contre la barrière de sécurité, dans un dernier caprice. Ses yeux qui tombent dans le vide et son esprit qui tourne au ralenti. L'éthanol imbibe les sentiments et font sauter le vernis de son masque. Tellement pathétique. « I'm a fucking mess. » Un éclat de rire qui se transforme presque en sanglot. Les larmes qui tombent enfin, et lui qui essaye de les cacher dans la nuit. Il secoue la tête, Seth. La confession au bord des lippes. « I think I'm in love. » Il a envie d'en rire à nouveau. Au moins autant que de hurler, à pleins poumons. « I hate it. » Regard qu'il détourne et sourire qui s'évapore. Il s'oublie dans le silence et renifle dans le froid.

Le rire en écho au sien au milieu de la route déserte. La tête secouée de gauche à droite face au désarroi. L’état lamentable de l’acteur qui provoque la moquerie amicale sur le bord des lèvres. « You got so drunk that you lost a shoe, and I’m the bad boy ? » La main qui s’active dans le dos, la tentative sans doute stupide d’apporter un certain réconfort. Pourquoi est-ce qu’il se fout dans des états pareils, Seth ? Pourquoi ça t’étonne, quand tu fais la même chose ? Les souvenirs que tu ravales le plus rapidement possible. Pas maintenant. Pas ici. Jamais, Lorenzo.
La carcasse de l’autre qui s’échappe vers le sol. Silhouette titubante à tes pieds. Tes mains qui s’enfoncent dans les poches de la veste de moto. Pas de réponse au blâme qui passe ses lèvres. Il le sait très bien, Abberline. Pas besoin de venir remuer le couteau dans la plaie béante. Pas besoin de l’enterrer plus alors qu’il creuse déjà depuis de trop longues minutes. Puis le coup dans la poitrine, à son expression qui s’assombrit. Bordel, tu t’attendais pas à ça, Lorenzo. La détresse qu’il tente de masquer, mais le métier d’acteur qui s’effrite sous les assauts de la liqueur. Alors tu te laisses tomber, toi aussi. Les deux corps à l’abandon sur le bas-côté de la route.
La dominante lasse pour traîner dans les boucles brunes. « What’s so wrong about that ? Oh, la belle ironie, quand tu craches sur l’idée même du couple. Que tu ternis les mariages de coups de reins. « Is she hot ? Cause you can’t date a munter. »