Le vide, on ne peut pas le décrire. Juste ses effets. Te raccrocher à ta vie d’automate. Impuissance. Envie de passé. Tout recommencer, éviter les erreurs, quelles erreurs? Ecrit. Destin. Et toutes ces conneries. Le moindre geste est pesant. Les yeux rivés au ciel. L’indifférence est tout. Haïr les objets. Se distraire, prendre un bouquin, sortir, sursis pendant une heure ou deux, puis replonger. La tête appuyée contre la vitre glacée, t’observes les nuages, dessins vaporeux cachés par la brume citadine, l'humidité légendaire de cette chère Angleterre. T’entends pas les klaxons, le bruit des voitures qui défilent et la voix lointaine, si lointaine de ton chauffeur qui t'annonce que vous arrivez bientôt à destination. Sonnée. La sensation fausse d’être déconnectée. Et tu songes comme c’est mal foutu la mort, le sommeil, tout ça. On devrait pouvoir, comme les machines, appuyer sur un interrupteur pour mourir de temps en temps et pour quelque temps. Plus que dormir, vraiment mourir, déconnecter les rêves, la somnolence, les spasmes, éteindre. S'éteindre tout seul parce que l'on sait que le sommeil ne suffira pas, que l'aube arrivera trop vite. Ton aube arrive avec des heures d’avance, des jours d’avance, des mois d’avance. Ton aube est restée coincée à tous ces jours ratés. T'aurais jamais cru que c’était si compliqué de garder à ses côtés les personnes que l'on aime de toutes ses forces. Un an qu'il vous a quitté et ta peine est intacte comme au premier jour, palpable elle résonne dans tes entrailles et plus encore dans les prunelles de ta progéniture. Reflet douloureux auquel tu tentes d'échapper, c'est ce que tu avais prévu ce weekend, une parenthèse d'insouciance et de superficialité, t'avais planifié cette virée à Londres avec ta filleule depuis des mois. Et voilà qu'une toute petite alerte à la bombe a réussi à exploser vos projets. Retour au bercail. Adieux pause londonienne. En guise de compensation t'as promis dés demain à Toni un brunch au Black mocha son salon de thé préféré, suivi d'une virée shopping démentielle. Ce n'est pas exactement ce que vous aviez prévu mais ça reste un moment de répit. Le véhicule se stoppe et tu tends un billet pour la course avant de refermer la potière d'un geste lasse, tes talons martèlent le macadam, le pas lourd et la tête en vrac tu comptes noyer ta déception dans un verre de vin et rejoindre ton tendre oreiller.

Un doux fantasme qui te sera lui aussi confisqué, ton allée se trouve étrangement encombrée de voitures, de gobelets vides et surtout de groupes de jeunes gens vaguement familiers. T'as l'impression de t'être trompée de maison. Pourtant c'est bien ta porte d'entrée et ce sont bien tes gardénias dans lesquels un adolescent est en train de vomir tripes et boyaux. Difficilement tu te frayes un passage jusqu'à ton porche, grimaçant lorsque tu passes devant un jeune couple qui se pelote sur la balancelle tu joues des coudes pour parvenir jusqu'à ton entrée. Constatant avec effroi que c'est bien une fête improvisée à ton insu qui est en train de se dérouler tu lâches de surprise ton sac de voyage « Qu'est-ce que c'est que ce bordel...» articules-tu entre tes dents tandis que tu cherches d'un regard haineux l'un de tes gamins. Des gosses, y'en a plein ton couloir, ton salon et ton canapé mais aucun signe des tiens, un jeune homme titube jusqu'à toi et manque de peu de renverser son verre sur ton pull. T'en profites pour lui retirer des mains, reniflant son contenu tu crois reconnaître un mélange de vodka et de soda avec un dosage des plus douteux « Je crois pas que t'aies l'âge pour ça. » lui dis-tu en balançant le cocktail dans levier, face à sa pseudo-protestation tu lui attrapes le menton l'obligeant à te regarder dans les yeux pour répondre à ton interrogation « Où est Terri? » d'un ton autoritaire tu le fusilles sur place ne comptant pas le laisser filer avant d'avoir ta réponse. Pas besoin d'être devin pour savoir lequel de tes enfants est à l'origine de ce carnage surprise.