Les silhouettes encerclaient les ronds de fumée. Je marchais à reculons, vacillant entre les volutes opaques d’un couloir infini. Red velvet, un souffle de vices qui submergeait l’espace. Une musique bourdonnant dans les sphères d’une salle aux piliers de métal. Un millier de tables étendues dans le noir, avides de séduire l’oeil des ivrognes. Mes doigts se crispaient sur les pans de ma robe, tirant sur les bouts de tissu afin de couvrir mes genoux. Je n’étais pas ces autres qu’on dénudait du regard. Je n’étais pas ces femmes aux courbes séduisantes, dansant jusqu’à irradier entre les phares et les éclairages. Ma bouche se pinçait et ma voix se perdait. Je me tournais afin de retrouver le propriétaire. Il m’avait convié au spectacle. Et comme une idiote, je m’étais laissé enchantée par l’envie de la scène. Je n’avais pas fait de recherches. Je n’avais pas essayé de me renseigner. Seule, la passion de la musique importait. Et cette échappatoire qu’il m’offrait dans la nuit. Un voyage au bout du microphone. Une aventure loin des pensées et des vestiges du temps. Je ne voulais plus réfléchir à l’avenir. Je ne voulais plus batailler contre les sentiments. Et pourtant, je me sentais sale et intruse au milieu de ces mains baladeuses et de ces expressions figées. Tant d’hommes et de bouteilles, alignées sur le comptoir. L’aigreur de l’alcool embaumait leurs paroles et les soupirs d’extases qu’ils murmuraient sur mon passage. Je gardais la tête haute et la démarche gracieuse. Mon oeil transperçait l’obscurité afin de retrouver le bureau du gérant. Appelez-moi, Tevan. Qu’il avait répété au téléphone. Une intonation charmante et un accent, viril, courroucé par une éloquence étrange, qu’il modelait en fonction de son auditoire. Un homme de métamorphoses. Un séducteur aguerri qui déployait ses poisons sur le monde. Je n’avais pas peur. J’étais courageuse, téméraire. Un trait caractère, que je m’efforçais de prouver depuis James. Mon expression se figeait en traversant l’allée. Je toquais à la porte et ravalais mon sourire. « Je pense qu’il y a erreur. Je suis chanteuse pas danseuse de cirque. » Sifflai-je, avant de me présenter. Je maintenais un ton cordial, le forçait à me regarder dans les yeux et de défier ma colère. Je tapais du pied, impatiente. Il serait plus facile de rebrousser chemin, de quitter ces lieux de perditions et les néons aveuglants. Mais mon coeur palpitait si fort. Mon coeur, réclamait justice. «Vous n’avez clairement pas de scène adaptée. Et je refuse de montrer ma culotte en chantant God Save The Queen.» Maugréai-je en secouant frénétiquement la tête. J’étais offusquée - mais je refusais de plier. Je refusais de tourner le dos au défi.