Le bruit du remous des vagues sur les galets est superbe. La mélodie aqueuse est agréable. Ruby s'est enfuie. La fête battait son plein, trop pour elle. Son existence est plus solitaire que ça. Elle préfère le silence au tapage nocturne. Elle finit beaucoup de ses soirées ici. Les pieds nus sur les bouts de pierre froids, avec la lune pour seule compagne. Elle se reposera plus tard, entre les tentures sombres du manège. C'est mardi et personne n'est là. Elle ne chante pas, ne se parle pas. Et elle ne pense pas, non plus. Elle est bien, là, avec les éléments tout autour d'elle, les yeux rivés sur le ciel mitigé entre nuit et jour. Le seul rythme est celui des battements de son coeur calme. L'alcool et l'euphorie se dissipent lentement dans l'air encore frais. Un soupir soulagé sort de sa bouche et s'évapore en buée fragile. Elle regarde sa vieille montre, les chiffres se rapprochent du lever de soleil. Elle espère rester encore un peu seule avant de retourner dans la vraie vie. Et pourtant, une autre âme à la dérive un peu plus loin. Elle ne voit pas Ruby et Ruby ne la voit pas. Jusqu'à ce qu'un rayon de soleil jaillisse d'entre la pénombre et attire leurs yeux par un coup du sort. Et là elle la voit. Celle qui a disparu depuis toujours. Elle la voit, un des fantômes de son passé qui lui écrase le coeur quand elle s'autorise à y penser. - Marlene ? La voix éraillée par un silence prolongé, l'apparition la sort de son monde. Elle ne sait pas si elle doit s'approcher ou pas. Ses jambes ne bougent pas.

Elle se prend les années dans la gueule. Les souvenirs la tiraillent et lui soulèvent le coeur. Putain, Marlene. Son fantôme, comme celui d'Ean. Mais Marlene elle est là, de chair et de sang. Perdue dans le temps face aux ondes de l'eau, comme elle. Ruby l'enferme dans l'étau de son regard. Elle est bien là. Ruby ne bouge pas, Marlene oui. Pourtant elle serait la première à disparaître en un battement de cils. Comme elle l'a fait depuis la dernière fois que leurs regards se sont croisés, il y a des mois, sous la pluie et le malheur. Les pierres se mouvent sous le poids frêle de Marlene qui s'assoit à côté d'elle. Les quatre zyeux rivés sur le rivage. - Hey. Les voix faibles et enrouées se mêlent au petit matin et au remous sur les galets. Les anciennes amies sont des silhouettes vides face à la mer. - Ça fait longtemps. Les mots s'échappent de ses lèvres, la trahissent. Les banalités sont déplacées. Le passé rattrape Ruby et l'engouffre à la vue des yeux de biche de Marlene. Tout revient. Les couchers de soleil, les feux de camp, les marshmallows, les cocktails improvisés, les lendemains difficiles. Tout ce qui se passait ici-même. Quand Ean était encore là. Et quand le groupe était encore là. Ruby, elle a eu peu d'amis, de vrais amis, dans sa vie. Parce qu'incapable de s'attacher. Ean c'était son premier ami, le seul, le plus important. Avec qui elle avait grandi. Et plus tard, le duo s'était agrandi. Maintenant il ne restait plus que les poussières de leurs souvenirs et les voix brisées par les années. - Tu vas... bien ? Elle se tait tout de suite. Elle veut pas être celle qui demande ça comme si ça pouvait aller. Elle-même n'est plus que l'ombre d'elle-même.