Kala regarde l’heure. Elle a rendez-vous ce soir, elle est prête à partir, elle a hâte. Elle sort, elle a demandé sa soirée au café Luna. Elle en peut plus, elle craque. Besoin de prendre l’air, d’oublier sa merde. Elle a chopé rapidement quelques fringues, un jean noir, un t-shirt blanc où se détache le mot LOOSER, veste en jean, bottines noires, queue de cheval. Elle ne doit pas ressembler à grand chose. Elle a pas besoin de ressembler à grand chose pour aller au musée, cela dit. Elle sort rapidement de sa chambre. Ses frères et sœurs sont tous partis, tant mieux. Elle a tout perdu l’année dernière et ne parle plus à grand monde depuis, pas besoin qu’on la plaigne. Alors c’est presque aussi bien qu’ils ne soient pas là. Elle s’en fout, de tout manière. Brighton, c’est pas pour toujours, elle refera bien sa vie ailleurs. Elle claque la porte d’entrée, tente d’éloigner ses mauvaises pensées. Pas que ça à faire.
Kala retrouve Melvin, son meilleur ami, en face du musée. Melvin, c’est la seule personne qu’elle supporte quand elle est de mauvaise humeur, comme aujourd’hui. Parce qu’il la connaît bien, et qu’il sait qu’il est juste là pour la rassurer en silence, à visiter l’expo sans dire un mot. Elle a pas envie de parler. Il sait toujours ses choses là. La galerie va fermer, et Kala se dirige vers le vestiaire pour récupérer son sac quand un bruit dans la pièce voisine attire son attention. Ils passent un film sur l’évolution au du paléolithique au néolithique, de ce qu’elle peut entendre. Pas moyen de rater ça, la voilà qui s’y précipite pour écouter la fin. Mais la voilà qui découvre Yoram – ou plutôt Monsieur Langton, comme ils l’appellent tous – penché sur un panneau. Si seulement elle l’avait entre-aperçu avant, elle aurait pu l’éviter. Si elle avait su que c’était lui, elle aurait déjà filé. Mais elle tombe nez à nez avec lui, qui soutient son regard fermement, avec une intensité et un mépris presque vexant. Presque, parce que maintenant, elle est habituée, ne fait même plus attention. C’est comme ça à tous les cours, depuis quelques semaines. Toujours pareil. Alors elle l’écoute et s’approche, bien décidée à lui répondre aussi sèchement qu’il le faudra. Avec un arrière-goût amer dans la gorge, et une envie de lui prendre la main en même temps, qui la laisse confuse. Le voilà, fier comme un coq, à faire du sarcasme. Ça ne lui suffit pas de la traîner dans la boue à la fac, visiblement. Il remet le couvert. À la différence que cette fois, elle n’est absolument pas obligée de lui répondre poliment. « Oui, c’est moi, Monsieur Langton. Et non, ça n’a rien avoir avec mes notes, je préfère simplement me consacrer à des activités culturelles qu’à autre chose. Et vous, vous êtes là pour quoi ? Je vous imaginais plus rentrer chez vous le soir, manger de la bouillabaisse et vous faire plaisir devant un porno. Attendez, pourquoi je stresse que vous me mettiez une mauvaise note pour cette réflexion? On est pas à la fac cette fois, impossible de me martyriser. ». C’est un peu sec, il faut l’avouer. Plus qu’elle ne l’avait prévu. Mais il l’a bien cherchée.