Le soleil s'inclinait en arrière-plan, le port chantant une mélodie que seule la mer savait offrir. Les rires des mouettes se mêlaient à la voix des vagues et Jeanne, ivre, pleurait avec. Elle avait, encore une fois, quitté le travail plus tôt. Elle qui n'avait pas de patron, elle dont les supérieurs étaient si loin qu'elle n'avait pas de comptes à rendre devrait bientôt se justifier. Parce que celle qui avait toujours tout donné pour son travail, allant jusqu'à sacrifier sans hésiter sa vie privée, jusqu'à tout quitter pour une promotion, cette femme qui était mariée à son travail avait signé les papiers du divorce. Elle ne pouvait plus se concentrer, elle ne pouvait plus penser à autre chose qu'à son fiancé qui chavirait, à son mariage, son avenir, sa vie, à tout ce pêle-mêle qui se noyait sans un bruit, dans le silence de cet homme qui s'effaçait. Alors Jeanne, de son bureau, s'enfuyait. Elle dénouait ses cheveux blonds et trainait les pieds au supermarché pour en ressortir avec du vin et des bonbons. Comme pour une rupture d'adolescente, comme si elle n'avait que 15 ans, Jeanne s'éloignait du centre et portait le liquide rouge à ses lèvres avec trop peu de remords. Elle s'appliquait, décidée à oublier, décider à trouver le repos, enfin, le sommeil sans cauchemars. Il lui restait plusieurs heures avant de devoir pointer, à la maison, avec les courses, le repas décidé et le sourire accroché. Pour faire bonne allure, elle devait se défaire, un peu, avant. Jusqu'au point de non-retour, elle saurait profiter de la marge.
Ses yeux clairs, au bout d'un certain nombre de gorgées, arrêtèrent de pleurer son couple déjà noyé. Elle oubliait le goût de l'amour. Elle oubliait le goût des rires. Il n'y avait plus que l'amer des larmes et le rouge du vin. Plus de souvenir tranchant non plus - plus rien d'autre que le vide de l'alcool. Elle se mit alors à rire, d'un rire creux, effrayant, un rire qui n'était pas elle. Un rire qui était son ombre.
Alors, des pas se firent entendre derrière elle et, d'un réflexe stupide, Jeanne cacha la bouteille entre ses jambes. Elle se retourna et fit une légère grimace. Tout était beaucoup trop flou. Elle voyait à peine une silhouette. Toute sa force mentale était concentrée dans sa posture - il ne fallait pas tanguer. Elle articula alors difficilement. Oh, bonjour, je ne vous avais pas vu. Elle grimaça de nouveau, incapable de garder son sérieux, et tendit à la silhouette le paquet de bonbons entamé. Un bonbon ?