{The past becomes the crime in my mind - lp, blue moon}

Nolan, il n'a jamais été de ceux qui jouent pour le frisson, pour la gagne, pour toutes ces choses qui marquent et corrompent l'esprit d'un homme. La sensation d'une bonne pioche reste innocente, un plaisir enfantin d'un garçon qui s'apprête à remporter la victoire, une satisfaction éphémère et futile, rien de plus. Le poker n'est ni une addiction, ni une distraction. Ce n'est rien de tout cela. Peut-être juste une occasion sympathique de passer du temps entre amis en décapsulant quelques bières. D'ailleurs, il n'aime pas parier de l'argent. Pas du genre à recompter les centimes dans ses poches, il n'apprécie cependant pas la valeur malsaine qu'ajoute cette prise de risque. Mais les règles sont les règles, alors il se contente de suivre et de se taire, ne serait-ce que pour quelques parties bien ficelées. Il a toujours aimé ces soirées-là. Les anecdotes graveleuses, les différentes couleurs des jetons, les rires masculins qui édulcorent l'atmosphère. Une ambiance loin, très loin de sa vie de tous les jours. Un petit aparté qui lui permet de reprendre son souffle – ou de le perdre tant la fumée des cigares se fraye un chemin dans ses poumons immaculé. Enfin tout cela, c'était avant. Avant l'arrivée à l'improviste de Teddy Walsh. Ce serpent dissimulé sous des sourires charmeurs, cet ami devenu traitre. C'était il y a longtemps, mais Nolan se souvient parfaitement de ce coup de couteau dans le dos. La première d'une longue liste de déceptions amicales et amoureuses. Et même si les années ont passé, l'eau n'a pas coulé sous les ponts. Il y a sa raison qui a fait barrage. Même s'ils n'étaient que des gamins insouciants et stupides, Nolan, il a grandi avant cet arrière-goût de trahison, tant est si bien qu'il lui est impossible de s'imaginer sans. Le simple nom de son Judas lui donne envie de cogner, lui qui n'a jamais été du genre impulsif et violent. Et cette réaction, il ne se l'explique pas. Elle fait partie de lui, cette haine, comme une trace indéniable de son passé, de l'adolescent qu'il a été, de la naïveté dont il a pu faire preuve. Et s'il a évolué depuis le lycée, Teddy le renvoie malgré tout à cette période délicate des amours écourtées et des fiertés bafouées. Et c'est dans l'épicerie du coin qu'il ressasse ses vieux démons, bougonnant dans sa barbe à en inquiéter les vieilles dames présentes qui s'écartent de son passage. Il n'arrive même plus à penser clairement, ni à conserver ses bonnes manières qui lui sont si chères. Il maudit la planète. Il maudit Teddy. - Treize Livres, s'il vous plait, comme un lointain écho. Il pose des billets et des pièces sur le comptoir, le regard perdu dans le vide. - Oh non, mais c'est pas vrai ! Qu'il s’exclame en regardant à présent par la vitrine de la supérette. - Gardez la monnaie ! Qu'il balance en sortant à toute allure, en oubliant la moitié de ses courses. C'est un homme qu'il suit désormais à grandes foulées dans la rue. - Hey ! Comme un coup de tonnerre qui gronde. Une fois l'homme retourné, il s'approche davantage, les sourcils froncés. - Ça t'as pas suffit de me piquer Sarah Edwards, tu viens carrément envahir mes soirées poker et mon quartier ? Sa voix part dans les graves à mesure que son agacement se fait ressentir. Putain de Teddy Walsh. Il ne l'avait pas vu depuis des années et les voilà presque plus inséparables qu'ils ne l'étaient au lycée.

- ain't no rest for the wicked -
nolan & teddy
Il regarde l'image que lui renvoie le miroir, le bleu qui a coulé sous sa peau, comme l'encre qui s'imprègne du buvard. C'est peu glorieux et l'histoire derrière l'hématome l'est encore moins. Ses doigts courent sur la pommette malmenée, ses yeux constatent une fois de plus les dégâts, mais aussi qu'il n'y a plus rien dans le placard à pharmacie pour arranger le coup. Alors il attrape son manteau et il s'éclipse dans les rues de Brighton, prêt à s'arrêter dans la première pharmacie qui croisera son chemin. Il prend son temps, s'égare plus ou moins volontairement dans le quartier familier, sans but précis, autre que de retarder le moment où il retournera chez lui pour se confronter à une solitude étouffante. C'est bien simple, quand il n'est pas enfermé dans son bloc opératoire ou en train d'entraîner ses amis dans des plans foireux, Walsh est incroyablement seul. Alors  comme aujourd'hui, il part à l'aventure, à la rencontre de l'imprévu, à la recherche d'une aventure fantastique qui se soldera sans doute par quelques bleus supplémentaires sur son cœur. Tête en l'air, happé par ses pensées, il ne repère même pas la boule de nerfs qui se dirige vers lui. Il ne réalise que lorsqu'il entend son cri – ou bien est-ce un beuglement. Surpris, il se tourne, ancre son regard à celui d'un homme qu'il ne connaît que trop bien. Un drôle de sourire barre ses lèvres, savant mélange de stupéfaction et d'amusement. « Nolan. » Pas le temps d'en dire plus que l'autre est presque sur lui et Walsh se sent obligé de reculer d'un pas, n'appréciant que trop peu l'attitude de son vis à vis. Il l'écoute cracher ses mots avec rancœur et tout cela ne fait qu'alimenter le rire nerveux qui roule sur ses cordes vocales. « Non sérieusement, c'est pas possible, t'es encore bloqué là-dessus ? » Il est un peu bitchy sur les bords Teddy, il en a bien conscience, mais c'est plus fort que lui. Ça ne l'empêche pas de se rappeler qu'il faisait moins le fier à l'époque, quand il a menti et trahi Nolan, pour une histoire de cœur qui n'avait pas plus de valeur ou de contenu qu'un épisode de sitcom douteux. « Mais sinon à moi aussi, ça me fait vraiment plaisir de te revoir, Samuels. » Il retrouve un semblant de  sérieux – juste un peu. Juste assez pour éviter d'y laisser quelques dents, qu'il se dit, imaginant sans mal que Nolan lui ferait ravaler son sourire avec plaisir. Il reste amusé, Teddy. Amusé de voir Nolan se mettre dans tous ses états pour si peu. Il finit par attraper une clope, lui en proposer une par simple politesse. « Chill un peu. J'avais pas prévu que Nolan Samuels habitait dans ce quartier avant d'emménager. J'avais pas prévu non plus que tu jouais au poker avec mon frangin. » Il hausse les épaules, allume la cancerette finalement. « Qu'est-ce que tu crains au pire ? Ce sont des jetons qui sont en jeu, pas ta dignité. » Il tire une fois de plus sur la clope sans se départir de son sourire espiègle. Dans le fond, il commence à croire que c'est un peu pareil pour Nolan, quand il s'agit de lui.