Ces deux dernières années, avec tout ce que t'as pu marcher, t'aurais mieux fais de faire le tour du monde. T'aurais gagné au change, et, peut-être qu'au fin fond de l'Asie, t'aurais eu personne à croiser. Le trajet devait être simple. Point A, point B, ton fric récupéré. Si t'es passée par le parc, c'est en espérant y fuir l'agitation des rues du centre ville. T'as finis ton spliff juste avant le point de non-retour. Putain, si t'avais su, t'en aurais roulé huit.
Quand la main se pose sur ton épaule, tu te figes, profondément agacée. Y a plus aucun corps que tu puisses tolérer sur le tiens. Pas même sous la forme d'une accolade. Ta langue claque contre ton palais, mine renfrognée. " Iz? " Ca te glace le sang, ton coeur en manque un battement, peut-être deux. T'es déjà sure, mais tu te retournes pour te confronter à l'évidence. C'est l'équivalent d'une droite que t'as l'impression d'encaisser. Rafer. Et, Rafer c'était aussi Sohan. Il a toujours la même gueule, quoi qu'un peu plus rongé par la vie. Rafer, il a toujours eu l'air un peu vrac, y avait beaucoup de ça dans son charme. Pourtant, pas l'ombre d'un sourire sur ton visage, la joie de vos retrouvailles est à sens unique. Toi, t'es à l'opposé de son enthousiasme. T'es sonnée par une intime violence, t'en perds tes moyens. T'as le coeur dans la gorge, tu voudrais pouvoir le vomir. C'en est terminé, t'as perdu le cap. " bordel c'est bien toi. Tu... " T'as presque les genoux qui flanchent quand il t'attrape, et, le contact est intenable. Ca te fait vriller. Rafer, il aurait pu te faire du bien, pourtant, tu veux pas de son affection, encore moins de sa charité. T'as pas besoin qu'il s'inquiète une fois que c'est trop tard. " Me touche pas ! " Tu repousses ses bras avec virulence, et, tu ne fais pas un pas en arrière, t'en fais trois. T'as un putain d'orchestre à la place de la poitrine." Tu veux quoi ? C'est trop tard maintenant! " Ta voix se veut froide, mais, tu manques tellement de contrôle, c'est évident. Y a trop de bordel dans ton crâne, trop de reproches. T'en perds le fil, c'est excessif. " TU VEUX QUOI RAFER! " T'as les joues qui brûlent, le nez qui pique. Parce que tu perds pied, et que tu peux pas faire semblant face à quelqu'un qui connait tes rouages. Alors tu marches, t'avances comme pour l'éloigner, surtout pour t'enfuir. Et, étriquée par ton calvaire personnel, t'as pas réfléchis à tout. Si ça se trouve, il n'sait même pas, pour Sohan.

T'attends pas. Quand tu étouffes, la seule solution que tu n'aies jamais trouvé, c'est prendre la poudre d'escampette. Mais, y a sa main qui te mord le bras, qui t'empêche d'avancer. Et, t'as beau t'agiter, ça n'a aucun effet. Tu n'veux pas de cette confrontation, tu veux même pas le regarder dans les yeux. T'es plus Izie-qui-s'en-branle, t'es Isis-la-gamine-cassée. Le masque, c'est pas toi qui l'a fait tomber, c'est Rafer qui te l'a arraché. Sans l'savoir, sans l'vouloir. Y a ses mots qui résonnent. " C'est quoi l'délire? " A mesure que tu réalises, le flot de tes émotions se recentre sur la colère. Parce que ça te semble indécent, parce que tu le vis comme un manquement à la mémoire de ton frère. Va te faire foutre. " LACHE MOI ! " " Je sais que j'ai été con, que j'vous ai fait du mal à toi et So' mais c'est pas un peu exagéré là ? " Vraiment, il ne sait pas. T'es sidérée, y a des vagues qui te soulèvent le coeur et te serrent les tripes. Tu veux pas le regarder, t'ignores volontairement sa main quand il cherche ton attention, comme si ça pouvait suffire à marquer ton désaccord. T'essaies de te barrer, t'essaies surtout de pas exploser. " Putain d'l'eau a coulé sous les ponts non ? On peut p't'être oublier cette histoire ? " Non. L'eau, elle a arrêté de couler. " TU ME FAIS MAL ! " Toi aussi, tu t'infliges une douleur inutile en t'entêtant. Il veut pas lâcher, tu veux pas abandonner. Tu ne lui dois rien, rien de plus que le silence radio dans lequel il s'est lové pendant trois ans. S'il avait eu son cas de conscience avant, alors peut-être que Sohan serait encore là. " M'ignore pas putain. C'est d'ta faute aussi cette histoire, j'étais pas tout seul à baiser ce soir là. Merde ! " Et, c'en est trop. Tu lui en colles une. Pas une claque. Sohan, il t'a appris a fermer le poing. Une droite, directe entre la pommette et la mâchoire. Ca à le mérite de lui faire lâcher prise. Sauf que t'as plus envie de te tirer. T'as envie de l'frapper encore, de l'insulter. D'lui arracher les yeux. Y a rien qu'une petite voix pour te retenir. " Parce que tu crois que j'ai encore quelque chose à foutre d'une partie de jambes-en-l'air qui remonte à plusieurs piges! " T'avances vers lui pour le repousser en arrière, tes deux avant-bras s'abattent sur ton torse. " L'monde ne tourne pas autour de ta bite, Raf ! Comment tu fais pour être aussi con! " T'as tout craché d'une seule traite, comme une attaque au poison. Tu contrôles plus rien, t'as le coeur au bout des lèvres. T'as continué d'avancer jusqu'à être obligée de reculer. Tu t'emballes, t'as les mains qui tremblent. " T'étais où! T'attendais quoi en fait! (courte pause, tes doigts qui s'emmêlent entre tes cheveux).. Je t'ai dis de me laisser ! " Dans le fond, il veut pas savoir. Y a des sanglots étouffés sur le bout de ta langue. T'en as du mal à respirer régulièrement, à penser clairement.

T'as plus rien à secouer du monde qui continue d'tourner autour de vous. T'as tous les voyants rouges allumés, signal d'alarme. Le fil de tes pensées est tortueux, décousu. Tu files de mal en pire, t'empreignes pas tout ce qu'il te dit. Y a des moments où tu glisses, t'es plus vraiment là. T'as plus eu besoin de faire face à tes démons jusqu'à cet instant. Jusqu'à Rafer. Depuis plus d'une année, t'as foutu ta vie d'avant dans une boite et tu l'as jetée au fond d'un placard. Y a que comme ça que t'as pu sortir la tête de l'eau. Tu souffles, fort. T'essaies de chasser le poids qui t'oppresse. " .. Si c'est toi que j'avais appelé, il me l'aurait reproché et tu le sais. " Tu oscilles entre colère et désespoir. Il ricane, et ça te file la nausée. Tes mains tombent, tu lâches tes cheveux pour agripper ta taille, comme si ça pouvait te rendre un peu de contenance. " je dois te redire que lors de notre dernière rencontre, il m'a ouvert l'arcade cet abruti, j'ai fini aux urgences." Instinctivement, ton visage s'agite de droite à gauche. Le reste de ton corps est immobile. Le vent tourne, c'en est terminé de la fureur. Izie, t'es une putain de girouette, t'es un cocktail d'humeurs sous acide. Tu la connais l'histoire. Toi, t'as jamais arrêté d'en entendre parler. Alors, tu voudrais juste qu'il arrête de parler -enfin, si. T'es plus une funambule, tu tombes dans l'vide. " Alors peut être que tu pourrais me dire où il est qu'on règle les choses une fois pour toute ! " T'es rendue à l'évidence, et, ça te coûte un bras. " J'peux pas.. tu peux pas non plus. " La suite, elle est bloquée entre tes molaires. Tu cherches un point d'attache dans le décors. N'importe où, sauf Rafer. T'oses plus le regarder dans les yeux. T'as peur de c'que tu pourrais y voir, peur que ça te rende encore un peu plus vulnérable. " Il est plus là Raf, il est .. " Et, tu cherches tes mots. Sauf que t'as rien d'autre que l'image d'un corps pourri. T'imagines tant de détails que c'est intenable. Tu phases, quinzième vrille de ton cerveau. Si tu siffles tout d'une traite, c'est que t'as le dégout comme moteur. " Il est au carré mulusman d'un cimetière d'chez mes parents, si vraiment tu veux discuter. " Pas un pet de compassion dans ta déclaration. En revanche, y a de la rancoeur, et, un million de reproches, mais, tous ne sont pas adressés à Rafer. Tu mords ta joue, pour avaler les larmes de gamine fragile qui tentent une échappée. allah y rahmou. T'as jamais rien demandé au Dieu d'tes parents, mais, pour ton frère, t'as fais entorse au règlement. Serre-toi fort Izie, tu tomberas pas.   

T'as réussis à n'pas pleurer, même les fois où t'étais à deux doigts. Et, l'espace de quelques secondes, t'imagines son désespoir. Sauf que tu refermes cette porte aussi vite que tu l'as ouverte. T'as pas la place d'accueillir son chagrin. Seule la colère t'es salvatrice, parce que ton coeur est moins vide lorsqu'il est furieux. T'étais seule le soir de l'enterrement, toute seule pour expliquer tout ça. Y avait que toi au milieu des enfers. Alors, il mérite pas ton épaule, il mérite rien. C'est pas toi qui colmateras les fuites avec lui, t'as déjà pris trop de vagues dans la gueule. T'as pas bu la tasse mais l'service à thé tout entier. T'as plus rien à lui dire, il n'a plus qu'à mâcher la nouvelle, essayer de l'avaler. T'es égoïste jusqu'à l'os, y a que toi que tu cherches à préserver, que tes meubles que tu tentes de sauver. T'as rien à foutre des plumes qu'il est en train de perdre, trop occupée à chercher les tiennes. Les choses auraient pu-être différentes s'il était pas parti. Probablement moins sombres, pas si cassées. T'allais filer, profiter du brouillard. T'as pas cherché à comprendre ses murmures, t'as tourné les talons. Il te force à faire volte-face. Collision des regards, détresse de l'âme. " Comment putain? " T'as du mal à comprendre, à saisir l'intérêt de sa question. C'est rien qu'une atteinte à ta pudeur. Il a pas la moindre idée de tout ce qu'il remue. T'as assommée par des flashs, écrasée entre ses mains, et, tu n'penses plus qu'à l'accident. Tu sens pas tes bras, juste la morsure fiévreuse de l'insurgé. La douleur te semble lointaine. T'entends la meuf de Sohan hurler, les vitres exploser. Tu te souviens de la panique et de la brûlure. Ton coeur s'essouffle, Rafer serre plus fort. Comment? Défiguré. Tu repenses au sang, au corps qui n'aurait pas pu être identifié. Comment? Dans la panique. Tu te souviens de l'attroupement, et, que t'aurais préféré perdre connaissance. Tu te souviens des détonations, du réveil à l'hôpital. " LACHE MOI ! IL EST PLUS LA ! " C'est tout. Y a que ça qui compte. Et, finalement, tu te demandes si l'but de Rafer, c'est pas de t'enterrer aussi. Tu suffoques sous son emprise, t'as l'pire des films qui passe en boucle. Mais, tu veux la paix, tu veux plus le voir. " Un accident de voiture. " Ta voix se brise, la détresse que t'as retenue se fait la malle en quelques notes. Tu veux qu'il te laisse, mais t'es pas sûre de tenir debout. Et, t'as le visage qui tombe en avant, la nuque lâche. Cachée par tes cheveux trop longs, t'es en train de chialer. Pas à la manière des actrices hollywoodiennes, mais comme un aveu, comme un animal blessé. Sale conne.

Il s'en bat clairement les couille de remuer de la merde parce que dans son esprit, savoir ce qu'il s'est passé l'aidera à mieux digérer. Une connerie en soit. Des images qui tournent en boucles dans son cerveau affaibli par la nouvelle. Des souvenirs, bons ou mauvais, plutôt bon d'ailleurs. Sa mémoire qui lui joue des tours, le ramène dans le passé pour enfoncer le couteau un peu plus loin encore. Plus profondément. Il y a souvent pensé. A ce qu'ils ont été tous les deux. Ca peut faire gay dit comme ça mais il le rendait heureux. Parfois même il imaginait ce que son ami était devenu, sans se dire une seule seconde qu'il pouvait être dans le foutu néant. Mort et enterré. Son instinct ne le pousse nul part, c'est comme si la vie l'avait quitté et qu'il flottait au dessus de son corps. Jusqu'à ce que la détresse et la colère prennent le dessus pour martyriser Izie. Celle qui doit être en train d'en chier un max. Saloperie de vie. Parce que Rafe est le mieux placé pour que cette merde de deuil n'existe pas. On se souvient de tout. A jamais. On n'oublie pas. Ca ne fait pas moins mal. C'est juste qu'on fait avec, parce qu'on a plus trop le choix en dehors du suicide. Et cette option il l'a oublié le jour où il a compris qu'il était beaucoup trop lâche pour mettre fin à ses jours. Accident de voiture. Trois petits mots qui tournent en boucle dans son crâne. Trois petits mots qui résonnent mais qui ne suffisent pas. Elle baisse la tête elle et lui il ne va pas la laisser s'en tirer comme ça. Et tant pis si en parler entretien la plaie de celle qui a survécu. C'est arrivé quand ? Grogne t-il, la rage au creux du ventre qui lui bouffe les entrailles, qui lui donne réellement envie de gerber. Puis son corps entier le lâche, il ne contrôle plus aucun de ses muscles alors que son cul touche le sol humide. Ses jambes ne répondent plus. Ses deux mains viennent taper contre sa tête. Vu de l'extérieur, il doit avoir l'air d'un échappé de l'asile. Pourquoi tu m'as pas appelé ? fait il d'un ton plus calme mais vide de sens. Tu aurais pu m’appeler. Il respire difficilement tandis qu'un filet de morve se glisse chaleureusement près de sa bouche. Il l'essuie d'un revers de main et répète une fois de plus : t'aurais du m'appeler. il devient fou. Vraiment. Ca fait mal. Ca fait mal partout. Au coeur. Au corps. A l'âme. Il a perdu son seul ami aujourd'hui et il est pas prêt de donner à nouveau, croyez le...

Tu t'attendais à ce que ce soit un choc, pas à c'que ça lui coupe les jambes, ni à c'qu'il se transforme en légume. Et, ça t'emmerde profondément. Même toi, t'étais pas si pitoyable sur le coup. Toi, t'as fermé ta gueule pendant que ta mère pleurait et que ton père te fusillait du regard. T'as serré les dents aussi fort que ton coeur. Tellement fort que t'aurais pu rester bloquée. T'as eu la solitude et l'éternité de la nuit qui a suivi pour chialer, pour être autiste, pour recoudre ta soirée et pour demander de la morphine aux infirmières. Elles t'ont dis que ça irait, que t'aurais rien qu'une cicatrice. Que t'avais de la chance. Et toi, t'étais trop shootée, trop vidée pour leur dire d'aller se faire foutre. T'as toujours pas digéré, tu replonges chaque fois que t'y penses trop. Si tes nerfs sont intimement liés à tes crises de larmes, c'est parce que t'as pas évacué. T'es un vase déjà rempli Izie, toutes les goutes te font déborder. Et, quand tu t'énerves, c'est toujours un peu de sa faute à lui. Quand tu vrilles aussi. Tout l'temps en fin de compte. Pourtant, t'avais trouvé l'équilibre dans ta fureur. C'est pour ça que t'as jamais voulu d'un deuxième gardien. C'est ton secret, ta bulle, ton sang. Vous étiez plus que deux, puis à la fin, t'étais qu'une. Toute seule. T'avais aucune raison d'appeler Rafer. Salut tu deviens quoi, Sohan est mort. Bonne journée. T'as faillis te remettre à pleurer rien qu'en y pensant, en le formulant silencieusement. C'est la vision de Rafer qui te fait tenir. Y a quelque chose qui te ressemble dans sa réaction, un truc que tu sens dans ton bide. Tu te demandes si c'est de ça que t'as l'air quand tu perds le contrôle, quand tu t'effondres. Tu chasses les dernières perles, les traitresses. Tu files un coup de botte dans sa chaussure. Un deuxième, plus fort, vraiment plus fort. Ca l'fait réagir qu'à moitié. " Pas ici, lèves-toi. C'est ridicule. " T'es sèche, tu cherches son attention. C'est presque pour son bien à lui. Tu croirais entendre ton père, le jour de l'enterrement. Alors, le plus insensé, c'est que ça sorte de ta bouche. So, il doit bien se foutre de votre gueule de là où il est. Puis tu te souviens que t'as des mouchoirs alors tu lui envoies. Tu lui jettes dessus à vrai dire. A quinze mètres derrière lui, y a deux mamies qui vous fixent, et, tu les avais pas remarqué. Elles parlent, ne se démontent pas quand vos regards se percutent. Tu la connais c'te curiosité. C'est un peu ça qui t'a fais fuir Londres. Tes yeux ont jonglé entre Rafer et les commères quelques secondes, puis, t'as tourné les talons, t'as laissé tomber. T'as envie de perdre encore des plumes, pas envie d'essuyer son désespoir. Tu peux rien pour lui, tu veux rien pour lui. Au revoir, démerdes-toi.